C’est pas un cadeau

Qu’est ce qu’on pourrait bien lui rapporter ? Interrogation lancinante qui hante les jours et les nuits de tout voyageur désireux de faire plaisir à ceux qui sont restés au pays.

>>Le Vietnam en quête d’objets souvenirs emblématiques

Quand je reçois des amis, il est une question que je redoute : qu’est-ce qu’on peut rapporter du Vietnam ? J’aimerai répondre des odeurs, celles insistantes des épices qui rôdent dans les marchés, celles subtiles du riz qui planent au-dessus des rizières, celles sucrées du thé quand il est en fleurs. J’aimerai dire des couleurs, celles des áo dài (tunique traditionnelle des femmes vietnamiennes) chatoyants, celles des levers de soleil sur la baie de Ha Long (province de Quang Ninh, au Nord), celles des fruits dans les paniers des vendeuses de rue. J’aimerai parler des émotions, celles des rencontres imprévues au détour de la route, celles d’un sourire d’inconnu que nous avons croisé, celles de la découverte de paysages sublimes. Mais comment mettre tout cela dans une valise ? Alors, force m’est de partir à la chasse aux souvenirs. Pas ceux que l’on garde au creux de sa mémoire, mais ceux qui, accrochés à nos murs, posés sur nos étagères, offerts aux amis, vont nous donner l’illusion que le voyage continue, avant de disparaître dans les oubliettes des objets inutiles ou encombrants.

Des guirlandes de lanterne qui n’attendent que la nuit !

Cadeau encombrant

«Où peut-on trouver un chapeau pointu ?». Impossible d’échapper à cette demande, tant le nón fait partie de l’image que tout Occidental se fait du Vietnam. D’ailleurs, il fait tout pour se faire remarquer : empilé sur les étals des marchés, mis en valeur dans les vitrines des marchands de souvenirs, promené à vélo par les vendeurs à la sauvette. L’aficionado du chapeau conique n’a que l’embarras du choix. Brodé, plastifié, peint à la main ou nature, il se vend au plus offrant. Certains puristes, amoureux de l’authentique, vont le chasser là où il est le plus utile : à la campagne. Ils le guettent au détour d’un petit marché de village, ils le négocient au paysan qu’ils croisent, ils le quémandent à l’habitant qui les a invités. Savent-ils tous ces heureux acquéreurs du couvre-tête que celui-ci va se montrer récalcitrant à entrer dans une valise ? Ou du moins si on parvient à l’y loger, à l’arrivée, sa forme risque de ne pas être meilleure que celui qui l’a transporté. J’ai bien vu certains faire le choix de le porter en tête, affichant clairement le statut de celui qui «a fait le Vietnam», mais j’imagine qu’ils doivent connaître de grands moments de solitude quand ils débarquent dans leur pays d’origine !

La soie s'affiche en transparence...

Cadeau pour soi

Il existe d’autres appétences touristiques. La soie y occupe une place honorable. Ce n’est pas seulement sa légèreté et sa texture si particulière qui font de ce tissu un parangon d’exotisme, mais aussi tout ce qu’il renvoie à nos rêves d’explorateurs : la route de la Soie, Marco Polo, les belles courtisanes en tuniques de soie, les larges étoffes aux couleurs moirées qui dansent dans le vent. Autant d’images qui ne peuvent que troubler un voyageur provenant de pays du coton.

Alors, on se rue dans les magasins qui affichent «soie naturelle», on envahit les villages de la soie, on s’extasie à la douceur d’une écharpe. Mais la soie ne se donne qu’à ceux qui la méritent. Au-delà du rêve, la soie, en Asie comme en Occident, est un produit noble qui, conscient de sa valeur, ne s’abaisse pas à des prix de roturiers. Et c’est là que le bât blesse : on veut bien de la soie, mais pas trop chère. Parce que si on doit la payer le même prix que là d’où l’on vient, alors ça sert à quoi d’avoir fait le voyage. Heureusement que le satin peut donner le change !

Combien en ai-je vu heureux d’une bonne affaire sur la foi d’une étiquette où la soie semble aller de soi, alors qu’ils n’ont acheté qu’un ersatz en «soie satinée». Mais qu’importe, sauf à vérifier à la flamme d’un briquet les dires du commerçant, ils conserveront leur quant à soi, en s’imaginant dormir dans de la soie.

En relisant ma phrase précédente, je constate qu’il pourrait y avoir méprise : il ne s’agit pas de torturer affreusement le commerçant pour le faire avouer, mais tout simplement de faire brûler un fil de soie. Les fils issus de l’industrie pétrochimique fondent en répandant une odeur âcre et très désagréable. Pour le fil de soie, la combustion est particulière. Lorsque le fil de soie se consume, il répand une bonne odeur de corne brûlée. Si vous ne connaissez pas l’odeur de la corne brûlée, c’est un peu comme l’odeur de l’ongle qui brûle. De plus, la cendre d’un fil de soie est très fine. La combustion du fil stoppe nette dès que la flamme est éteint. Ceci étant, je ne recommande pas ce type d’attitude, sauf à créer un froid entre vous et le commerçant. Après tout, c’est ce que l’on croit qui a de l’importance.

Le chapeau conique se porte bien !

Cadeau brûlant

Au rayon des souvenirs, la lanterne tient sa place. Faite de bambous et de soie, la lanterne nous fait pénétrer dans les livres de contes. Dans ces histoires où les gens habitent dans des maisons aux murs de papier, où les palais ont des toits recourbés, où les rois sont dans des cités interdites, où les ombres dessinent des dragons et autres bêtes extraordinaires.

Il est des villes, comme Hôi An (province centrale de Quang Nam), où la lanterne est reine. Elle festonne d’une frise aux mille nuances, l’auvent des maisons, la devanture des magasins, la terrasse des restaurants. Elle enguirlande les rues, s’accroche aux pignons, se blottit dans les arbres. Ronde, oblongue, ventrue, carrée, en goutte d’eau, il y en a pour tous les goûts.

Depuis quelques années, on donne même des leçons de fabrication de lanterne, au cours desquels il ne s’agit pas de lanterner ! Je me souviens d’avoir été un de ces élèves studieux. Fier de mon œuvre, j’avais décidé d’en faire ma lampe de chambre. Suspendue au plafond, elle me promettait une lumière doucement ocrée qui allait mettre une ambiance d’enfer dans mon intimité. Ce furent les flammes de l’enfer qui, en deux minutes, ont consumé ma belle lanterne. La faute à une ampoule trop puissante dans un volume trop restreint. Combien de lanternes, ayant traversé le monde, ont été ainsi sacrifiées sur l’autel de l’ignorance des rapports lumen/watt !

Finalement, c’est quand on les retrouvera au gré d’un nettoyage de printemps ou d’un déménagement que ces souvenirs nous permettront de dire avec nostalgie : on a vraiment fait un beau voyage au Vietnam, cette année-là !

Texte et photos : Gérard BONNAFONT/CVN

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