Cambodge 1989 - Notes de voyage de Huu Ngoc (3)

En 1989, les accords de Paris, placés sous l’égide des Nations unies, mettaient officiellement fin à la guerre cambodgienne. Le journaliste Huu Ngoc (photo ci-contre) était au Cambodge lors du retrait des troupes vietnamiennes. Voici son témoignage (suite).

>>Cambodge 1989 - Notes de voyage de Huu Ngoc (2)

>>Cambodge 1989 – Notes de voyage de Huu Ngoc (1)

Des dirigeants vietnamiens visitent le monument commémoratif des soldats volontaires vietnamiens à Phnom Penh (Cambodge).

Sur la route de Kompong Cham
Je fais un bout de chemin avec le capitaine vietnamien Lê Ngoc Loi, 28 ans, plutôt maigre dans son ample uniforme, le regard pensif, la parole mesurée. Son père est maître d’école dans un village perdu de la haute région de Ninh Binh, au Sud de delta du fleuve Rouge. Lê Ngoc Loi a trois sœurs et cinq frères dont l’un, volontaire au Cambodge, fut tué par une mine Khmer Rouge en 1984. Sorti ingénieur du génie en 1983, il est allé lui aussi au Cambodge.
- Vous avez été six ans ici. Avez-vous participé à de nombreux combats ?
- Les accrochages sont très rares. Il faut vous dire que mon unité relève du front 779, très au Sud, où les infiltrations Khmers Rouges sont insignifiantes. Et puis, nous sommes toujours à l’arrière, nous construisions des routes et des ponts. Une fois, une trentaine de Khmers Rouges ont lancé une attaque de nuit contre nos baraques, ils se sont dispersés dès que nous avons contre-attaqué. C’est tout.
- Personnellement, souhaitez-vous quitter le Cambodge ?
- Oui. J’approche de la trentaine. Il est temps que je songe à une vie plus stable. On se marie tôt dans mon patelin, vous savez. Et puis, j’aime mieux me faire une carrière dans le civil.
Visite de Tun Sleng, une école secondaire de Phnom Penh transformée par Pol Pot en camp de la mort. Les instruments de torture sont conservés tels quels : établis spéciaux pour arracher les aveux, chaînes, menottes, pinces, gibets rudimentaires, fouets, jarres pour plonger le visage du supplicié dans l’eau jusqu’à le faire mourir d’asphyxie… On voit encore les guenilles des victimes et des taches de sang noir sur les carreaux. Une image jaillit dans ma mémoire : le camp nazi de Ravensbrück que j’ai visité en 1959. Un camp pour femmes, avec four crématoire. Je me rappelle la collection de chevelures féminines rassemblées par les bourreaux.
Les volontaires vietnamiens sont arrivés juste à temps
Visite des fosses communes du village de Cheung Ech : 20.000 personnes tuées, ensevelies dans 129 fosses, 20.000 selon les documents d’Angka ; on n’a pu retrouver que 8.985 cadavres. Fosse N°5 : une centaine, la plupart des femmes et des enfants enterrés nus. Fosse N°7 : 160 victimes décapitées. Selon Nieng Say, prisonnier affecté au creusement de cette fosse, une dizaine de détenus avaient dû creuser 129 fosses en deux mois. La population a rassemblé une dizaine de milliers de crânes pour les mettre derrière des vitres.
Un journaliste étranger me dit :
- Ce témoignage des crânes ne suffit-il pas à justifier l’intervention des troupes vietnamiennes ? Foin des arguties juridiques qui servent de paravent à de monstrueux calculs politiques ou à des subtilités oiseuses de droit international. Hun Sen a dit la simple vérité en déclarant : + Les volontaires vietnamiens sont arrivés juste à temps, au moment le plus urgent pour le peuple cambodgien+ (1).
Phnom Penh, une fin d’après-midi de mercredi. Pourtant, on a l’impression de vivre un jour férié. Sur les pentes verdoyantes du Phnom (colline) de la Dame Penh qui donne son nom à la capitale, des élégantes en sampot de satin ondoyant se font photographier par des amateurs ou des professionnels. Les enfants, en bas, regardent les fauves et autres animaux se morfondre dans leurs cages tandis qu’un peuple de nagas, de lions, d’apsaras, de divinités bouddhiques veillent sur des gradins auprès des stûpas de style Khmer, Cinghalais ou Thaï. Dans le sanctuaire érigé au sommet, jeunes et vieux font des prières et se prosternent devant un autel somptueux, richement illuminé.
Au Parc de récréation Bâng Ko (Lac des Lataniers) installé au bord d’un lac qui porte ce nom, un quartier est réservé aux enfants, où sont exposés un hélicoptère et un chasseur. Un restaurant chic devant lequel stoppent des voitures japonaises, soviétiques, françaises… attire le regard.

Un site touristique du Cambodge.


Les vœux les plus chers de la population cambodgienne

Assis à une des tables posées sur le gazon, nous jouissons de la fraîcheur du soir en sirotant du lait de coco. Touch Sang Lai, directeur des Éditions Rasmey Padevat de Phnom Penh, me fait part de ses opinions sur le retrait de tous les volontaires vietnamiens en 1989.
- Au fond, c’est une bonne chose, tout comme le retrait des conseillers techniques vietnamiens de nos services. Depuis quelques années, nous avons appris à marcher avec nos propres jambes. Compter sur autrui, même sur des amis, retarde notre avance.
- Pensez-vous que le gouvernement peut rallier la majorité de la population ?
- Certainement. Tout le monde sait que nous sommes les adversaires résolus des Khmers Rouges, objet de la réprobation universelle et terreur du peuple khmer. Notre gouvernement assure à la population la réalisation de ses vœux les plus chers : la foi bouddhique, la propriété individuelle de la terre, la paix et la neutralité.
- À travers mon bref séjour, j’ai remarqué que de nouveaux problèmes ont émergé, tels que le planning familial chez les cadres et les fonctionnaires, le service militaire, l’urbanisme, les loisirs.
- Vous avez raison. Nous ne sommes plus au stade de la famine et de la disette Khmer Rouge… La terre est généreuse, le riz et le poisson ne manquent pas. Les masses paysannes se contentent de ces deux denrées essentielles. Mais c’est maintenant le mieux-être qu’on demande, surtout les classes moyennes des villes. On construit beaucoup, le prix des maisons monte, signe que la sécurité est garantie. L’économique s’avère aussi urgent que le politique. Sans l’indépendance économique, l’indépendance politique ne signifie pas grande chose. Rien ne peut se faire sans la vraie concorde nationale dont nous avons semé la graine.

Huu Ngoc/CVN


(1) Réponses à l’interview du Quân dôi nhân dân (Supplément - Nghia nang tinh sâu - juillet 1989).

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