Bébé aux anges ou anges pour bébé

"Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grand cri…". Si le grand Victor vivait au Vietnam, nul doute qu’il apprécierait encore plus son poème.

>>À boire et à manger

>>Le chant des sirènes

>>Dur de se faire comprendre

Il ne faut pas se promener bien longtemps dans les rues et sentiers du Vietnam pour constater que l’enfant y est omniprésent. Gamins qui envahissent les trottoirs, gavroches qui courent dans les ruelles, garnements qui folâtrent sur les chemins, le pays leur appartient.

L’Occidental, qui assiste à la sortie des écoles, ne peut être que stupéfait devant la foule d’écoliers qui s’égaillent dans toutes les directions, lui qui est habitué aux fermetures de classe pour cause de manque de clients juvéniles. Parmi toute cette enfance, il en est qui sont particulièrement choyés. Tendrement blottis contre le sein maternel, nichés dans les bras paternels ou bercés contre un dos accueillant, les bébés sont les rois au royaume de l’enfant. Et malheur à l’adulte qui ne lui rendrait pas l’hommage dû à sa fragilité.

Bébé à couvert

Un mois de juillet, comme un autre. Chaud et humide, donc propice aux méfaits du soleil et des moustiques. Avec des amis français et leur bébé de quelques mois, nous nous promenons dans un petit village des bords du fleuve Rouge. L’atmosphère étouffante et polluée de la capitale nous a incités à fuir à la campagne. Un petit vent chatouille agréablement nos visages, et la fraîcheur des ruelles étroites nous semble un bain de jouvence.

Coup de sang pour éviter le coup de chaleur.

Mais, attention ! Pas question de relâcher notre attention : le bébé dans sa poussette doit être protégé des rayons du soleil qui parviennent à se faufiler jusqu’à nous. Flèches brûlantes qui nous importunent au moins autant que les moustiques égarés en quête de nourriture pour leur repas de midi. Si les adultes ont le cuir suffisamment racorni pour résister aux deux trublions, la peau tendre du bébé en fait une proie de choix. Faute de grive, on mange des merles, faute de voile en tulle, une couverture disposée en auvent sur la poussette fait office de pare-soleil et de moustiquaire.

Notre bonne conscience d’adultes prévenants se satisfait du courant d’air qui passe sous la couverture, haut placée, sensée éviter à l’enfant d’étouffer…, ce qui a bien y réfléchir est stupide, puisque si l’air peut s’engouffrer, les moustiques aussi, réduisant à néant toute notre stratégie. Rien de pire que la bonne conscience stupide ! D’ailleurs, il ne faudra guère de temps pour que nous soyons rappelés à l’ordre de la façon la plus virulente et péremptoire qui soit.

À l’heure méridienne de notre escapade, toutes les maisons sont huis clos. Nous déambulons dans des rues désertes. Les habitants se sont réfugiés dans la pénombre de pièces à la température plus clémente que celle de la rue. Mais être chez soi n’empêche de voir ce qui se passe dehors, et les Tâys (Occidentaux), qui osent braver la canicule, sont suivis du regard, surtout s’il y a un bébé.

Un bébé, c’est sans doute ce qui a fait jaillir d’une cour, une digne grand-mère aux dents noircies de laque, encore vive malgré son âge. Sans hésiter, en marmonnant un vietnamien incompréhensible, elle se dirige vers la poussette du bébé et soulève la couverture. Les parents, inquiets, se mettent en position de défense, imaginant un rapt soudain, une demande de rançon, ou pire encore. Mais leur velléité de parents protecteurs sombre vite devant le regard indigné de la vénérable (vieille dame) qui désigne d’un doigt accusateur le visage ruisselant du bébé, tout en tenant à bout de bras la couverture délictueuse.

Et comme toute la famille, jusqu’au dernier-né, a emboîté le pas à la grand-mère, ce sont une dizaine de regards accusateurs qui nous figent sur place. S’ensuit une explication véhémente sur notre manque de jugeote que j’essaie désespérément de justifier par la nécessité de trouver un système D, et qu’entre la peste et le choléra, nous avions choisi le moins pire. Arguments non recevables.

Un enfant en bas âge doit se porter ainsi, couché sur les bras, et non verticalement.

Recalés à l’examen, il faudra passer l’oral de rattrapage. En attendant, de la maison, arrive une serviette humide pour rafraîchir le visage du chérubin, puis un voile en tulle rouge pour couvrir la poussette. Et pas question de payer quoi que ce soit. Circulez, et encore heureux qu’on ne vous enferme pas pour mauvais traitement. Toute honte bue, nous remercions toute la famille, nous inclinons devant l’ancêtre et poursuivons notre chemin tête basse. Ce qui nous permet de croiser le regard du bébé qui semble nous narguer : "Heureusement que les Vietnamiens savent ce qui est bon pour les bébés, eux !".

Bébé à découvert

Le même jour, quelques kilomètres plus loin, nous subissons une deuxième avanie. Cette fois-ci, nous sommes au frais, presque au froid. Il est vrai que la salle de la pagode, où trônent deux magnifiques statues de pierres quadrichromes, n’a pas vu le soleil depuis des siècles. Dans cette grotte de bois et de tuiles, nous prenons le temps de ramener nos températures internes à un degré plus proche de celui d’un bocage normand printanier que d’un delta vietnamien estival.

D’ailleurs, nous en avons profité pour sortir le bébé de sa poussette. Celui-ci n’ayant pas encore acquis l’équilibre instable nécessaire à la marche, et le sol de la salle ne répondant pas au critère minimum d’une hygiène permettant à un bébé de s’y vautrer, la maman le porte dans ses bras. L’enfant est à la verticale, ventre contre torse maternel, tête sur l’épaule. La maman a disposé ses bras de façon à former un siège pour l’enfant. Tout nous semble parfait… Erreur ! Trois grand-mères, venues faire leurs dévotions, s’approchent de la maman et, en montrant le bébé, tentent de lui expliquer que quelque chose ne va pas.

Je suis trop loin pour entendre ce qui se dit et faire la traduction. Je décide de m’approcher, mais à peine ai-je fait quelques pas qu’une jeune femme, surgie d’on ne sait où, se précipite sur la maman, lui enlève l’enfant des bras, et le prend en berceau dans les siens. La mère interloquée hésite entre la gifle et la plainte pour enlèvement, quand, arrivant près d’elle, je lui traduis ce que la jeune femme et les grand-mères essaient de lui dire. Un enfant en bas âge doit se porter ainsi, couché sur les bras, et non verticalement. Trop dangereux pour la colonne vertébrale !

La "porte-bébé", occasionnelle et intempestive, couvre le bambin de bisous avant de le rendre à une mère mi-figue, mi-raisin, qui vient d’apprendre en peu de temps qu’au Vietnam, on ne rigole pas avec la sécurité et le confort des bébés. Comme quoi le bébé roi peut être tyrannique, fût-ce pour son bien.


Texte et photos : Gérard Bonnafont/CVN

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