Aux racines des populations du Cap-Vert et de la traite esclavagiste

Les origines des populations des îles du Cap-Vert, ancienne plaque tournante du commerce d'esclaves africains, ont été quasiment effacées de l'Histoire. Mais les métissages passés ont laissé des empreintes génétiques et linguistiques, permettant aux scientifiques de remonter le fil du temps, selon une étude.

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L'archipel de l'Atlantique fut la première colonie de peuplement européenne en Afrique subsaharienne. À l'arrivée des premiers colons portugais, au XVe siècle, le territoire était inhabité.

La Cidade Velha sur l'île de Santiago, en octobre 2019 au Cap-Vert.
Photo : AFP/VNA/CVN

Point stratégique au large du Sénégal, sur la route des Amériques, le Cap-Vert devient dès le XVIe siècle une tête de pont de la traite esclavagiste transatlantique jusqu'à son abolition au XIXe siècle. Les esclaves du continent africain y ont été déportés en masse, pour travailler dans les plantations ou pour être vendus de l'autre côté de l'océan. Ce qui a donné lieu à nombre de métissages entre communautés asservies et non asservies, dont les Capverdiens sont issus.

Mais faute d'archives historiques, on en sait très peu sur leurs ancêtres. "L'une des violences de l'asservissement a été l'effacement des racines pour empêcher les gens de retrouver leurs origines", explique à l'AFP Paul Verdu du laboratoire Eco-anthropologie (CNRS-Musée de l'Homme), qui a dirigé l'étude parue cette semaine dans la revue e-Life.

Pour combler ces lacunes, une équipe internationale est partie en 2010 sur les traces génétiques et linguistiques, en prélevant l'ADN de 261 personnes parlant le Kriolu, le créole local, sur les neuf îles habitées de l'archipel.

Grâce à des méthodes et outils d'intelligence artificielle, ils ont pu comparer les données génétiques récoltées avec celles de populations de la péninsule ibérique, pour trouver leurs points commun. Et retracer les métissages anciens.

Métissages précoces 

Des vestiges de l'ancienne Ribeira Grande en juin 2009, rebaptisée Cidade Velha, au Cap-Vert.
Photo : AFP/VNA/CVN

Première conclusion : ces métissages ont commencé très tôt, entre les premières générations de colonisateurs et les premiers esclaves déportés. Jusqu'au XVIe siècle, ils se sont faits essentiellement entre des populations ibériques et certaines populations de la région sénégambienne (le Sénégal et la Gambie actuels).

Ces résultats ont surpris les chercheurs, qui s'attendaient à trouver davantage de diversité génétique au regard de l'intensité des migrations qui ont eu lieu à travers les âges. "Côté européen, il y a aussi eu une immigration anglaise (une partie des îles a été sous leur domination, Ndlr), française; côté africain, des esclaves déportés de Sénégambie mais aussi du Congo, d'Angola voire du Mozambique (ex-colonies portugaises)... Sans laisser pourtant trace de leurs gènes", dit Paul Verdu.

Ces populations sans descendance ou presque ont néanmoins marqué la culture, puisqu'elles ont laissé des mots dans le lexique créole. En écoutant parler les 261 Capverdiens, selon différents protocoles linguistiques, les chercheurs ont en effet retrouvé la marque de langues bantoues du Congo ou d'Angola, développe cet anthropologue et généticien des populations.

Deuxième conclusion, étonnante elle aussi: les métissages ont marqué le pas entre la deuxième moitié du XVIIe et le XVIIIe siècle. Ce qui peut sembler paradoxal car c'est à cette même période que le trafic d'esclaves a explosé. "On passe d'une dizaine de milliers d'individus déportés par an à plusieurs dizaines, voire centaines de milliers avec l'essor de l'économie de plantation vers 1640", souligne le chercheur.

Ségrégation accrue 

Des femmes dans une rue de Cidade Velha, première ville coloniale construite par les Européens sous les tropiques, en 2009 au Cap-Vert. Photo : AFP/VNA/CVN

Bien que plus nombreux, les esclaves n'ont donc "pas fait beaucoup de bébés". Sans doute parce qu'ils ont été rapidement déportés vers les Amériques, contrairement aux générations précédentes installées plus durablement sur l'archipel.

Autre hypothèse : avec l'intensification de la traite esclavagiste s'est développée une séparation plus stricte entre maîtres et esclaves. "On est en plein essor du Code noir à la fin du XVIIe, qui établit des usages de la ségrégation dans les colonies européennes. Les maîtres créent des baraquements d'esclaves et cherchent à contrôler les mariages au sein des communautés asservies", souligne Paul Verdu.

De l'autre côté de l'Atlantique, c'est l'inverse qui s'est produit, relève-t-il: selon les données génétiques des populations afro-américaines, plus largement étudiées, l'intensification des métissages a coïncidé avec l'explosion du commerce transatlantique esclaves.

"On voit souvent l'histoire de l'esclavage comme un bloc monolithique, or la génétique nous apprend une grande diversité d'histoires", conclut le scientifique.

AFP/VNA/CVN

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