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Au musée du Quai Branly à Paris, une employée scanne des statuettes d'Afrique, d'Océanie et des Amériques le 20 mai. |
Une à une, les premières statuettes sont transportées avec d'infinies précautions et allongées sur une table. Le scanner se déplace au-dessus d'elles, projetant sur elle des faisceaux rouges. Tout le personnel est tenu à l'écart pour ne pas être irradié. L'opération pour chaque objet dure environ dix minutes, mais seules quelques secondes, celles du scan lui-même, sont décisives.
Même si des objets anciens sont scannés depuis plusieurs années dans différents musées du monde, c'est la première fois qu'un scanner médical mobile portatif - un appareil d'1,5 tonne, provenant de la Pitié-Salpétrière - est déplacé dans un musée (dans le cadre d'une collaboration avec Samsung Electronics France). Philippe Charlier, nouveau directeur du département de la recherche et de l'enseignement au Quai Branly, va et vient avec précision, veillant au transport de chaque objet, avec une passion visible qui se lit dans le regard. Son objectif: appliquer les techniques biomédicales les plus abouties "aux objets des populations du lointain".
Avec cette opération lancée ce lundi 20 mai, ce qu'on espère découvrir est immense et habité de mystères et de sacré, tant certaines civilisations ont disparu avec leurs énigmes quand d'autres se perpétuent, parfois mal connues. Ces objets ont eu des fonctions magiques et rituelles, et leur traitement se doit d'être respectueux et délicat.
Innombrables questions
Les questions sont multiples: quel crâne se trouve sous ce visage surmodelé ? Quels conduits intérieurs relient la bouche, le nombril et l'anus de cette statue? Quelles matières sacrificielles ont été déposées là? Quelles possibles restaurations anciennes sur celle-ci? Qu'y a-t-il au-dessous de ces croûtes d'huiles, de graisse, parfois de sang animal? Pourquoi ces raclages? Quelle cachette magique contient le ventre de ce fétiche? Comment ont été fixés ces coquillages sur ce crâne?
Au musée du Quai Branly à Paris, des statuettes d'Afrique, d'Océanie et des Amériques sont livrées au scanner le 20 mai. |
Ainsi le plus vieux masque africain connu, en vannerie d’écorce, cornes de bœuf, coquillages et graines, l'un des joyaux du musée parisien des arts premiers, va-t-il être scanné: ses cornes sont-elles vides ou pleines? De même ce "boli" noir du Mali, dont la forme massive peut faire penser à un buffle, en sang d’animal coagulé, bois, cire, terre, fibres végétales: de quoi est-il fait? Quelle charge magique en son sein? Il reste probablement le type d’objet magique le plus respecté en Afrique sub-saharienne.
Pendant quatre jours, 60 statuettes et objets rituels d'Océanie, 50 d'Afrique, 36 des Amériques et 4 d'Asie doivent être examinés. Il était nécessaire d’avoir une visibilité interne d’objets peu ou pas déplaçables en raison de leur fragilité. Dans certaines de ces statues, les chercheurs pensent découvrir des dents, des fossiles, des cristaux, des bijoux, des graines, des fragments de vêtements ou de suaires de personnages importants.
"C'est une autopsie virtuelle. Cette recherche doit apporter une meilleure connaissance anthropologique de la fabrication de l'objet et de son usage, et permettre de retrouver un peu d'un patrimoine immatériel", estime le docteur Charlier. À 41 ans, ce médecin légiste, anthropologue et paléopathologiste, qui s'est occupé de migrants et de prisonniers, a choisi d'ouvrir une nouvelle page de sa vie en s'occupant de "patients atypiques": squelettes, momies, objets d'art premier.
Une équipe interdisciplinaire associant anthropologues, ethnologues, archéologues, historiens d'art, botanistes, zoologues étudiera pendant un an les coupes et les reconstitutions en 3D que permettent ces scans. Les résultats seront rendus publics dans des revues de référence.
AFP/VNA/CVN