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Un homme lit un livre religieux dans une librairie de Lahore, le 13 août 2020 au Pakistan. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Le mois dernier, le Parlement de la province du Pendjab, où vivent la moitié des 215 millions de Pakistanais, a voté à l'unanimité un projet de loi qui, s'il est appliqué, rendra les éditeurs passibles d'amendes ou de peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement s'ils publient des éléments "répréhensibles".
"C'est malheureusement un nouvel (épisode) d'une longue histoire de mesures régressives et anti-démocratiques prises par les représentants de l'État, qui utilisent la religion comme excuse pour étouffer la liberté d'expression et la pensée critique", regrette la sociologue Nida Kirmani, interrogée par l'AFP.
Médias, société civile et opposition politique dénoncent une montée de la censure, notamment des réseaux sociaux, depuis l'arrivée au pouvoir à l'été 2018 d'Imran Khan, dont le parti gouverne le Pendjab. L'armée et les religieux semblent exercer un pouvoir toujours plus grand au Pakistan, au détriment des personnalités dites libérales.
Le projet de loi comporte des "termes tellement vagues qu'ils peuvent facilement être utilisés contre des éditeurs progressistes comme nous", s'inquiète Bilal Zahoor, directeur de la rédaction d'une maison d'édition indépendante basée à Lahore, qui craint d'être "poussé à la faillite".
Dans sa forme actuelle, le texte donne aux autorités une marge de manœuvre presque illimitée pour contrôler, censurer et confisquer les livres qu'elles jugent problématiques.
"Obscénité"
Est ainsi visé "tout matériel susceptible de mettre en danger ou de porter préjudice à l'idéologie du Pakistan ou à la souveraineté, l'intégrité ou la sécurité du Pakistan", tout contenu promouvant "la vulgarité" et "l'obscénité". Sont strictement interdits le "manque de respect" et autre "profanation" du prophète Mahomet, dont la mention devra désormais toujours se faire suivie de termes honorifiques.
Les livres dans une rue de Lahore, le 13 août 2020 au Pakistan. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Les éditeurs devront également soumettre des descriptions détaillées de tous leurs livres au Bureau des relations publiques du Pendjab, qui pourra ensuite inspecter toute imprimerie, maison d'édition ou librairie et confisquer les ouvrages qui lui déplairont. Le Pakistan a déjà le pouvoir d'interdire les livres après leur publication.
En janvier, les autorités ont fait retirer des présentoirs les livres de l'auteure anglo-américaine Lesley Hazleton sur les débuts de l'Islam qui, pendant des années, n'avaient pas été inquiétés par la censure.
Le même mois, le célèbre auteur pakistanais Mohammed Hanif se plaignait de la confiscation de tous les exemplaires de la version ourdou de sa satire de l'armée, Attentat à la mangue. Son best-seller, primé à l'étranger, était pourtant vendu depuis 2008 au Pakistan dans sa version anglaise, inaccessible aux masses.
"Arbitraire"
Plus de 200 universitaires, journalistes et autres historiens ont écrit une lettre ouverte à l'Assemblée du Pendjab pour exprimer leur profonde inquiétude face à "l'immense pouvoir arbitraire, sans entraves et unilatéral" donné aux autorités pour décider du sort d'un livre.
Un vendeur dans une librairie de Lahore, le 13 août 2020 au Pakistan. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Journaux et magazines font déjà l'objet d'un examen approfondi en vertu des lois existantes et ne sont pas soumis à la nouvelle législation. Les manuels scolaires non plus, même si le Bureau des manuels et du curriculum les contrôlant semble s'en être largement inspiré.
Peu après l'adoption du projet de loi, il a imposé sa première interdiction de masse, censurant 100 manuels utilisés par des écoles privées au motif que certains contenaient des citations du Mahatma Gandhi, icône de l'indépendance de l'Inde, détaché en 1947, ou encore des cartes qui n'incluent pas le Cachemire - territoire également contesté par l'Inde et la Chine - comme une partie du Pakistan.
"Les éditeurs auraient dû demander une permission avant d'imprimer les livres", a sobrement commenté Rai Manzoor Hussain Nasir, le chef du Bureau des manuels, qualifiant son action "de bonne et patriotique".
Fawad Chaudry, le ministre fédéral des Sciences et de la Technologie, connu pour son progressisme, s'est montré moins laudatif : le projet de loi du Pendjab pourrait alimenter "le sectarisme et l'extrémisme religieux", a-t-il averti.
Le gouverneur provincial a déclaré qu'il ne serait promulgué qu'après avoir obtenu un "consensus".