À l’approche du Têt : nostalgie du village natal

La diaspora vietnamienne compte plusieurs millions de membres s’échelonnant sur trois ou même quatre générations. Parmi eux, la plupart de ceux qui aujourd’hui ont franchi le cap des soixante-dix ans se sentent tenaillés par le mal du pays chaque fois que revient le Têt.

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Le Têt est la fête du patelin, de la famille, des vivants et des morts. Les Vietnamiens de plus de soixante-dix ans résidant à l’étranger pensent au pays natal, surtout au village où dorment leurs ancêtres dans les rizières, même les citadins établis en ville depuis plusieurs générations, car le Vietnam est un pays essentiellement agricole. Au temps de la colonisation française, 95% de la population habitaient à la campagne, aujourd’hui 80%,  en dépit d’une urbanisation galopante qui a changé le visage du village d’antan. Ce dont les expatriés âgés se souviennent avec attendrissement, c’est le village traditionnel. À ce sujet, je voudrais citer à l’appui des bribes d’un article écrit par le Professeur Lê Tu Hy d’Atlanta (États-Unis) paru dans Hôn Viêt (numéro spécial de Têt 2015).

Image du village natal

«Pour moi, le pays natal c’est mon village, village où je n’ai vécu continuellement que pendant les douze premières années de mon enfance, auquel je ne suis revenu par la suite qu’à l’occasion des vacances d’été et du Têt. C’est ce village avec son héritage spirituel que m’ont laissé mes ancêtres, mes grands-parents et parents qui représentent pour moi le pays natal qui m’est si cher. Plus condensé encore, mon pays natal est la maison de mes parents avec tous les sentiments élevés où j’y ai cueillis et qui m’ont aidé à façonner ma personnalité et à créer ce qu’il y a de plus profond dans mon être, en ce qui concerne mon amour impérissable au pays natal. C’est là que mes trois frères et moi avons vu le jour. C’est là que pendant notre enfance nous quatre avons dormi ensemble sur un lit de camp, séparé de l’autel des ancêtres par des stores.

Des enfants à la pêche à la campagne.

En été, nous dormions torse nu. En hiver, même quand il faisait un froid glacial, une simple natte en jonc nous servait de couverture commune. C’est dans cette maison que tout petit, j’ai vu mon père rendre son dernier soupir au terme d’une longue maladie. C’est dans cette maison que nous avons pleuré les derniers moments de notre mère disparue il y a un quart de siècle. C’est dans cette maison que notre sœur aînée a quitté la vie il y a à peine un an. J’ai fait l’expérience de la faim et de la misère au cours des évacuations en temps de guerre, jusqu’en 1951. Je n’oublierai jamais les ruines et les deuils affectant mon village, y compris de membres de ma grande famille.
Mais même en temps de guerre, le Têt n’était jamais absent. C’est dans cette maison que ma famille fêtait de nombreux Têt. Quand j’étais petit, chaque famille du village préparait elle-même les gâteaux traditionnels +banh chung+. Ma sœur aînée faisait aussi des gâteaux au sésame des +banh in+, des confitures de gingembre. Le soir et la nuit du dernier jour de l’année lunaire avait lieu la cérémonie d’accueil des ancêtres. Nous quatre, les garçons, somnolions recroqueviller sous une natte, sur le lit de camp. Vers minuit, notre mère nous réveillait pour le +Giao thua+ (cérémonie du passage à l’Année Nouvelle). Les pétards éclataient partout dans le hameau semant dans l’air froid leur âcre odeur. La cérémonie terminée, nous reprenions le sommeil. Il fallait quitter le lit de bonne heure car notre mère disait que si l’on se réveillait tard le Jour de l’An, on serait paresseux pendant toute l’année. Nous étions tout heureux de pouvoir porter les habits neufs au Têt confectionnés par  notre mère et nos sœurs.

Des Vietnamiens résidant en République de Corée se réunissent à un banquet du Têt traditionnel à l’ambassade du Vietnam.

À cette époque, on ne portait toute l’année que de vieux vêtements. L’ancien rituel voulait que pendant le Têt, on présente sur l’autel trois fois par jour des offrandes culinaires aux ancêtres. Pour moi, le Têt est quelque chose de sacré, car il est une occasion qui permet à tout ce riche héritage spirituel de s’éveiller en moi de manière vivante. Chaque fois que revient le Têt, l’envie me prend de revenir à la maison de mes parents, au village, pour rendre visite aux parents et connaissances et de planter quelques baguettes d’encens sur l’autel des ancêtres à la mémoire des chers disparus et de tous ceux qui sont tombés pour le pays.

Entretenir des liens solides avec la Patrie

Il y a des Vietnamiens qui, ayant étudié et fait carrière à l’étranger, ont perdu tout attache avec le pays natal, sans parler de leurs enfants nés ou ayant grandi à l’étranger. Ce n’est pas seulement l’apanage du commun des Vietnamiens, il concerne même un monarque vietnamien : le roi Hàm Nghi, âme de la Résistance anticoloniale dite Cân Vuong, honoré par l’histoire comme ardent patriote. Il fut capturé et exilé par les colonialistes français en Algérie. Cinq ans après, il a épousé la fille d’un haut magistrat français d’Alger. Après les noces célébrées à l’église Saint-Philippe, Sa Majesté a fini par s’effacer dans l’élite aristocratique française, chose souhaitée et préparée sans doute par la clique coloniale.
Du fond de son âme, rien ne semblait le lier à son pays, à ses sujets et à ses ancêtres fondateurs de la dynastie des Nguyên puisqu’on n’a pu relever aucun document disant sa nostalgie du pays natal, son désir d’y retourner, le patriotisme d’un roi exilé par l’envahisseur. Il ne voulait pas apprendre le vietnamien à ses enfants, employant son temps à sculpter et à peindre. Il faisait de temps à autre en tour en France, gardant un silence complet sur sa destinée. Ses deux tableaux les plus connus, +Déclin du jour+ et +Paysage champêtre+, n’ont rien qui rappelle le déclin du jour et le paysage champêtre du Vietnam.
À l’heure actuelle, plus de trois millions de Vietnamiens vivent dans de nombreux pays du globe. Il suffit de quelques dizaines d’années de séjour à l’étranger pour qu’eux-mêmes, et naturellement leurs enfants et petits-enfants, s’effacent dans une société étrangère si leurs descendants ne parlent plus vietnamien, ignorent complètement  l’histoire, les mœurs et coutumes, la culture vietnamiens et ne font pas un saut au pays chaque trois ou cinq ans. À mon avis, les Vietnamiens nés et ayant grandi pendant les dix ou quinze premières années de leur vie au village, et qui ne cessent d’entretenir des relations avec les parents et connaissances du village, sont liés à leur village par de solides liens affectifs
».

Lê Tu Hy conclut : «Le Têt, Nouvel An vietnamien, est un trésor inestimable et sacré que nos ancêtres nous ont légué. Est-ce la vie paysanne millénaire au sein des villages qui a donné à l’âme vietnamienne ce vague sentiment du sacré» ?

Huu Ngoc/CVN 

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