Toute modestie gardée

Le Vietnamien est modeste ! Mais sans forfanterie, comme si certaines choses allaient de soi. À tel point que cette modestie confine à une discrétion excessive. Aussi, dût-il en rougir, j’ai décidé, à mon humble niveau, de rendre au Vietnamien ce qui appartient au Vietnamien.

>>Échappée belle !

>>Route au grand cours

>>Ça coule de source…

Le thé, seulement en dehors de repas !

Fasciné et irrité par la somme d’idées fausses que j’entends régulièrement à propos du Vietnam, je me suis amusé à écrire un livret à double entrée : au recto «Guide des idées reçues, mais pas toujours vraies, à propos du Vietnam», et au verso «Guide des idées pas toujours vraies, mais reçues, à propos du Vietnam».

Ouvrage confidentiel, destiné aux amis qui souhaitent mieux connaître ce pays, j’en dresse une liste non exhaustive des clichés qui se véhiculent dans les forums et autres sites et cafés du commerce, et qui finissent par devenir une vérité que chacun s’empresse de diffuser au plus grand nombre.

Comme je ne dispose que d’une surface limitée pour vous en faire part, je vous en livre quelques unes, qui concernent la table vietnamienne.

Café noble ?

En ce moment, c’est la fureur dans tous les cafés branchés des capitales occidentales. À 100 dollars la tasse, tous les amateurs d’exotisme canaille se précipitent sur le café crotte que l’on a baptisé «kopi luwak». Et chacun de s’extasier devant ce goût caramélisé qui fait fondre de plaisir les gourmets du monde entier.

Il est vrai qu’il peut avoir un goût particulier, ce petit noir fabriqué à partir des cerises de caféier avalées par des civettes et rejetées quasi-intactes par le même animal, après en avoir traversé œsophage, estomac, et intestins. Cette cousine de la fouine ne digérant que la pulpe de la cerise de caféier, le noyau, qui est tout simplement le grain de café, atterri intact dans la crotte de l’animal. Là, bien au chaud, il attend qu’on vienne le chercher, pour être nettoyé, puis traité comme ses congénères non avalés, avant de rejoindre un autre système digestif, celui de l’être humain.

L’histoire ne dit pas encore si le passage sous forme liquide, dans ce tube-là, conduira à en retirer une substance au goût à faire fondre de bonheur les personnes friandes de goût inédit ! Dans cette histoire, rien que de très banal, une bonne idée marketing pour un produit original !

Sauf que partout, on claironne que ce café vient d’Indonésie et que seul ce pays peut produire l’authentique «kopi luwak». Sauf que, bien serré ou allongé, ce café existe aussi au Vietnam depuis belle lurette. Et ce ne sont pas les habitants de Buôn Ma Thuôt (province de Dak Lak, sur les hauts plateaux du Centre), qui me contrediront : «Hô Hoàng Yên, cultivateur de café, garde un souvenir attendri de l’une des corvées qu’on lui confiait quand il était enfant, il y a un demi-siècle : il se levait à l’aube, à l’heure où la brume enveloppait les collines, s’enfonçait dans la luxuriante forêt des hauts plateaux et fourrageait sous les arbustes humides de rosée pour y dénicher les grains de café les plus délicats qui soient». Témoignage recueilli en 1999.

Alors crotte, quoi ! Remettons les pendules à l’heure, accordons peut-être à l’Indonésie l’origine du «kopi luwak», mais pas l’exclusivité. Civettes des hauts plateaux du Centre, lâchez-vous et ne soyez pas culs serrés pour que cette aventure ne se termine pas en cul-de-sac !

Et s’il faut envisager une campagne marketing d’ampleur pour faire connaître le café de civette vietnamien, de son vrai nom «cà phê chôn», je me permets d’apporter ma contribution, en évoquant une ou deux idées : offrir gratuitement une civette vivante à tout acheteur d’un kilo de café crotte, faire une démonstration grand public que retirer les grains de café des excréments de civette est plus pratique que de les retirer de la bouse de buffle. D’ailleurs, ces derniers digèrent totalement le grain de café, ce qui témoigne de l’intelligence supérieure de notre Mère Nature.

Ça, c’est poivré

Qui en Occident n’a jamais mis du poivre dans la sauce de salade, dégusté un steak au poivre, goûté à la poivrade inventée par le Chef Albert de chez Maxim’s. Qui n’a pas entendu parler des prétendus bienfaits de cette petite baie verte, noire, rose ou blanche, sur les libidos défaillantes. Le poivre, le monde entier connaît.

Mais c’est à chaque fois la même chose : lorsque j’annonce à des amis de passage qu’ils sont dans le premier exportateur mondial de poivre, ce ne sont que moues sceptiques, airs dubitatifs ou borborygmes d’étonnement. Et pourtant, c’est vrai ! Le Vietnam est le premier producteur et exportateur mondial de poivre avec 30% de la production et 50% des exportations du monde.

De plus, on pourrait s’en douter vu les propos poivrés des «bà» (dames) des marchés, les saveurs épicées des «pho» matinaux, et surtout avec l’association entre cet épice et le sel, qui conduit les voisins à mettre leur grain de sel un peu partout ! Et, oui, messieurs les maîtres coqs, quand vous moulinez au-dessus de vos casseroles, quand vous parsemez sur vos salades, quand vous «pincetez» dans vos bouillons, il y a de fortes chances que ce soit un peu du Vietnam que vous mettez dans l’assiette de vos convives.

Le «nem». Ça, tout le monde est d’accord pour dire qu’il vient du Vietnam, c’est même un des emblèmes de la culture vietnamienne ! Sauf que… Qui dit «nem», dit petit rouleau de crêpe de riz, farcie et grillée. Certes, il n’est qu’un des membres de la famille «nem», qui signifie «pâté» en vietnamien. C’est aussi ces carrés de viande fermentée enveloppée d’une feuille de bananier ou d’une plante aromatique, que l’on peut déguster en les piquetant de poivre, avant de boire un café de civette !

Je me souviendrais toujours de l’air ébahi de ces amis à qui mon épouse avait proposé d’emporter des «nems» pour un pique-nique à la campagne. Il nous voyait déjà avec un réchaud à charbon, une poêle à frire, installé sous un manguier, à les faire mijoter dans l’huile.

Quand ils ont vu apparaître les pâtés empaquetés dans des feuilles, ils ont découvert combien les idées reçues sur le Vietnam peuvent avoir la vie dure ! J’en profite pour éreinter une autre idée reçue : le «nem» frit ne se mange pas avec les mains en le saisissant avec une feuille de menthe. Ce qui passe pour une parfaite maîtrise de l’orientalisme du côté de l’Occident et d’une profonde répugnance de ce côté du monde.

«Anh uông gì ?» (Vous buvez quoi ?). Question rituelle tout convie dans un restaurant se voit poser ne début de repas. «Est-ce que je pourrais avoir du thé ?». Réponse que j’entends souvent et qui fait ouvrir des quinquets surpris aux serveurs.

Bien sûr, si vous voulez du thé, on vous proposera, selon la nature du restaurant, thé vert vietnamien, amer et au goût d’artichaut ou thés parfumés, destinés aux collations ou aux après-repas, en passant par l’infâme mixture de poussière de thé que l’on trouve dans des sachets en mousseline et dans toutes les épiceries du monde.

Sauf que, au Vietnam, on ne boit presque pas de thé pendant le repas. La boisson reine est la bière ou l’alcool de vie, et l’eau pour les abstinents. Le thé, c’est après la bombance. On change de table et on se partage la théière en petites coupelles que l’on avale cul sec. Mais boire du thé à table relève pour le moins d’une excentricité amusante.

Je tiens à souligner que je n’ai été sponsorisé par aucune des branches économiques citées dans cette chronique, à la fois par déontologie, mais aussi parce que je ne bois que du thé seulement hors des repas et pour le moment personne ne l’avale avant que je le boive ! Parce que je n’aime pas le poivre, sauf sur le fromage de chèvre, et il n’y en a pas beaucoup au Vietnam (du fromage, pas des chèvres). Et, enfin, parce que les seuls «nems» que j’aime sont ceux confectionnés par ma merveilleuse épouse…

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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