S’il te plaît, dessine-moi un Pho !

Auteur de bandes dessinées, professeur de bande dessinée à l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême, Gérald Gorridge a également créé et animé les Master-classes de bande dessinée du Vietnam.

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Gérald Gorride a sorti un bouquin qui permet «aux nuls» de faire eux aussi leur BD.
Photo : CTV/CVN

À l’occasion de la publication de son dernier album (le plus achevé) Mangeur de feu aux Éditions des Enfants Rouges, nous avons tenu à interroger Gérald Gorridge à propos de la place du Vietnam dans son travail de création et de son point de vue sur l’évolution du pays.

Gérald Gorridge a partagé, pendant dix ans, ses dessins dans les pages centrales de la revue Carnets du Vietnam. De cette longue collaboration une certaine complicité s’est nouée, ce qui explique le tutoiement employé dans cet entretien. Un vouvoiement de circonstance eut été assez hypocrite.

Peux-tu expliquer comment le Vietnam est devenu un des thèmes centraux de ton travail ?

Avant de découvrir le Vietnam en 1992, j’ai pas mal voyagé en Europe et en Amérique du Nord et du Sud. Mais aucun pays n’a retenu à ce point mon attention. Je n’oublierai jamais le regard joueur des Vietnamiennes dans la nuit mal éclairée des grandes villes, le sourire des paysannes dans les rizières, l’hospitalité et l’humour des habitants.

Les souvenirs de ce premier voyage sont restés gravés à jamais. Ce parcours du Nord au Sud était qui plus est éclairé par les commentaires d’un copain de lycée, Francis Subercaze, expert en Histoire coloniale.

C’est pour retrouver ces sensations rares que j’ai décidé de revenir, mais non pas comme un simple visiteur ou touriste, mais comme quelqu’un qui ferait quelque chose, un travail utile avec eux, en consultant les quelques artistes rencontré à l’époque où l’Alliance française était hébergée par l’école des Beaux-arts. Or, qu’est-ce que je sais faire ? Pas grand-chose finalement... Ah si, dessiner et raconter des histoires, et l’enseigner : c’est ainsi que j’ai inventé les Master classes de BD de Hanoï. Je rends hommage ici à la mémoire du directeur Bernard Pelletan qui a décidé de me faire confiance à partir de 1999. Aucun enseignement de la bande dessinée n’était, et n’est toujours pas à l’heure actuelle, dispensé au Vietnam. Cela a motivé les 24 voyages suivants.

Au fil des années comment as-tu perçu les évolutions des dessinateurs que tu as été amené à rencontrer ?

Ce qui est intéressant c’est que je me suis réinventé artistiquement au contact de la ville de Hanoï et de son labyrinthe, ce qui m’a valu un surnom en dessinant dans la rue à la rencontre des habitants. Quelques séances inoubliables... D’autre part mon réseau d’amitiés a considérablement augmenté, y compris à Bordeaux, ville où j’ai grandi et où je suis retourné pour apprendre la langue vietnamienne au contact d’une association très efficace.

À Hanoï, j’ai mis au point avec les artistes locaux, pour la plupart issus des écoles d’art, cinq programmes de recherche en travaillant dans le même esprit que l’école des Beaux-arts d’Indochine des origines, à savoir un idéal anticolonialiste, c’est-à-dire qui ne cherche ni à s’approprier la culture de l’autre ni à imposer un modèle (franco-belge par exemple) mais qui tente d’inventer de nouveaux procédés, de nouvelles façons de travailler, des styles inédits in situ.

C’est ainsi que nous avons travaillé sur les souvenirs d’enfance, sur l’Imagerie populaire vietnamienne et ses nombreux thèmes qui ont fait l’objet d’études sérieuses, ou encore sur le portrait narratif.

La couverture de l'album Mangeur de feu.
Photo : CTV/CVN

Ton dernier album est le résultat des ateliers nomades et de l’exposition Tranches de vie organisés lors de l’année France-Vietnam ; peux-tu retracer ce parcours ?

C’est plutôt dans le sens contraire : j’ai d’abord eu l’idée de l’album Mangeur de feu, à savoir réaliser notamment le portrait d’un Français de Hanoï.

Quel meilleur stimulus que de se confronter à d’autres créateurs et travailler de concert sur un thème voisin ? De là, a germé le travail sur les tranches de vie à la faveur duquel je me suis associé à cinq autres dessinateurs de Hanoï pour une exposition en commun dans la vaste salle de l’Institut français de Hanoï (Espace) en novembre 2014.

Lors de cette exposition, plusieurs dessinateurs vietnamiens ont exposé leurs œuvres. Pourquoi dans l’ensemble les dessinateurs/trices vietnamien/nes sont-ils si mal connu(e)s en France ?

Vaste question... Il faut d’abord dire que les artistes et auteurs vietnamiens que j’ai rencontrés font preuve de beaucoup d’ingéniosité et de créativité. Ils ont le sens de l’improvisation et l’esprit aventureux. Leur formation est bonne sur un plan académique mais insuffisante dans les domaines des arts d’aujourd’hui : l’art contemporain et la bande dessinée ne sont pas enseignés par exemple. Très peu de lieux leur sont consacrés.

Il est nécessaire d’accompagner les artistes émergents, de les laisser s’exprimer sur tous les niveaux d’une façon plus ample. Il faut miser sur ces talents qui bouillonnent et qui ne demandent qu’à exister avec davantage de moyens, pour rayonner dans le pays et au-delà, dans la suite du processus en cours au Vietnam depuis 1986.

Quel est le sujet de ton dernier album, le 3e qui se passe au Vietnam ?

L’histoire est centrée autour du chef Didier Corlou qui a, contrairement à moi, une relation continue depuis 25 ans avec la capitale.

De cette idée est venu un enjeu, comme pour chaque album : comment peut-on parler d’une recette, de parfums, bref d’aspects très immatériels, évanescents, éphémères même, par l’entremise du texte et du dessin, de la couleur et de l’écriture ?

Il se trouve que chef Didier est l’inventeur d’une recette magnifique, le Pho foie gras.

À partir de ce dérivé génial, servi dans deux restaurants de Hanoï, le récit propose trois thèses autour de l’origine du fameux Pho.

C’est donc un travail exclusivement documentaire ?

Les étrangers aiment le Pho grâce à sa diversité de goûts.
Photo : Bùi Phuong/CVN

La part documentaire est importante et je m’appuie sur mes nombreux livres sur le Vietnam depuis que les Français s’y sont intéressés (une pièce entière de la maison y est consacrée). C’est ainsi que j’ai découvert que le mot Pho n’existait pas dans la langue vietnamienne avant l’arrivée des Français. Tous les aspects historiques de l’album sont documentés : architecture, vêtements, trognes, contexte, dates...

Pour la partie contemporaine, je m’appuie sur mes propres carnets de voyage au Vietnam alimentés par de nombreuses rencontres.

Cela étant, j’ai aussi ma propre fantaisie et quelques fantasmes... L’album n’en fait pas l’impasse, au contraire.

Peut-on en savoir plus ?

Je craindrais de spoiler les secrets du livre...Mais la scène des fantômes de la dernière partie est finalement elle aussi assez documentée : selon les Vietnamiens, les fantômes sont des êtres flottants et les âmes s’envolent vers le ciel... un peu comme chez nous finalement.

Le Génie de l’entrave est une trouvaille extraordinaire, comment en es-tu arrivé là ?

Par esprit logique : puisqu’il existe des Génies pour toute chose animée ou inanimée, ne peut-on imaginer un Génie de l’esprit policier, de l’autorité, de la force armée ? Moi je l’imagine en jolie fille, avec un sale caractère, et plutôt vénale. Ce qui l’intéresse avant tout c’est d’améliorer son niveau de vie, car elle est mal rétribuée, en extorquant les quidam qui la sollicitent, avec le sourire, toujours.

Ce n’est pas le cas des autres Génies dans l’album ?

Les deux autres Génies en face d’elle sont plutôt des enfants gâtés, même pourris : ils croulent sous les offrandes, mais là l’idée est que ce ne sont pas des faux billets que l’on fait brûler mais de la monnaie véritable qui se rematérialise dans leurs coffres-forts.


Propos recueillis par Dominique FOULON/CVN
(Perspectives France - Vietnam)

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