Ras la cuve

«À quoi ça sert ce truc ?». Question récurrente de nouveaux venus au Vietnam, de quoi donner jour à une tranche de vie pédagogique !

Quand on habite au Vietnam depuis plusieurs années, on ne fait plus attention à tout ce qui, sous d’autres cieux, pourrait paraître incongrus. Il faut la visite de néophytes pour pointer du doigt ou de l’œil ces choses bizarres qui font partie de notre quotidien.

Eau du toit

En général, l’affirmation fuse assez vite. «Ils sont vraiment énormes les chauffe-eau, ici !». La première fois que j’ai entendu ceci, j’ai mis quelques secondes à réaliser. De quels chauffe-eau pouvait-on bien me parler ?

Que je sache, nous n’étions pas encore entrés dans une habitation, et encore moins dans une salle de bain, lieu d’intimité essentiellement réservé aux invités. Là où réside habituellement le petit appareil électrique qui permet de porter l’eau de la douche à des températures à rendre jaloux un geyser. Et, pour autant que j’ai eu l’occasion d’en voir, ils sont plutôt de taille modeste, voire riquiqui, à côté des imposants cumulus que j’ai pu connaître en Occident.

Pourtant, dans la voiture qui conduit des «bleus» à peine débarqués de l’avion à Hanoi, c’est bien sur ces modestes appareils que l’on porte un jugement pour le moins péremptoire. C’est en suivant le regard et le doigt de mon interlocuteur que j’ai découvert qu’il faisait allusion aux citernes métalliques qui semblent posées sur les toits des maisons, comme cigognes en leur nid. Du coup, l’explication pouvait venir. Si elle est de nature hydraulique, elle ne concerne pas le réchauffement de l’eau, mais plutôt sa circulation.

En effet, peu importe que l’eau soit chaude ou non, si elle est aux abonnés absents quand j’ouvre le robinet de la douche. Or, comme l’eau suit naturellement le sens de la pente, il faut bien l’aider à remonter, notamment quand il y a plusieurs étages. Et, selon le principe de base des vases communicants, l’homme, pour ce faire, a inventé le château d’eau. Cependant, aussi loin que se porte le regard, aucun réservoir en forme de tour ou autre édifice élevé ne se profile à l’horizon des plaines des deltas vietnamiens.

À défaut, on a donc imaginé ces citernes, juchées sur les toits, qui font office de châteaux d’eau individuels : une pompe remplit la citerne avec l’eau du réseau public, qui, une fois pleine, répartit généreusement son contenu dans toutes les conduites de la maison. Et le tour est joué ! Sauf quand la citerne est vide et que l’électricité fait défaut pour la remplir à nouveau. Dans ce cas, c’est le coup de pompe dans tout le réseau domestique. Les robinets crachotent, toussent et démissionnent. À la campagne, il reste la ressource d’aller puiser dans l’eau du puits, mais en ville…

Les citernes, juchées sur les toits, font office de châteaux d’eaux individuels des maisons.
Photo : Truong Trân/CVN

Pour ma part, je rends grâce à la prodigieuse faculté du Vietnamien à s’adapter à toutes les situations, y compris les pires. Ainsi mon épouse a-t-elle imaginé un puits urbain de secours, sous forme d’une énorme lessiveuse en plastique de 200 litres.

Eau du ciel

J’ignore encore où elle a pu trouver ce contenant, ni à quel autre usage il pourrait servir, toujours est-il que l’inconcevable récipient trône dans un coin de la cour, prêt à tout moment à offrir ces services en cas d’assèchement de la citerne faîtière.

Mais le plus remarquable est la façon dont est alimenté ce réservoir de secours, parce que 200 litres, c’est quand même 600 canettes de 33 cl ! La solution consistant à dévaliser les rayons des plus grands supermarchés de la région pour réunir ce volume d’eau, pas plus que celle qui consiste à utiliser l’eau du réseau pour remplir la cuve, n’étant pas très économiques, le problème a été résolu de façon écologique.

En effet, nos gouttières, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, nous offrent l’immense avantage de ne pas être étanches. Au lieu de récupérer méticuleusement toute l’eau qui nous tombe sur la tête pour la mettre en lieu sûr dans le réseau d’eau pluviale, elles laissent généreusement cette eau gicler à travers une multitude de fissures.

Ainsi, à chaque orage (et croyez-moi, en ce moment, il y en a des beaux et bien humides !), toute la famille se précipite pour placer sous les cascades cuvettes et seaux, qui sont ensuite déversés dans la citerne improvisée… Voilà comment, entre précipitations célestes et précipitation humaine, nous alimentons notre réservoir de secours.

Eau sans réserve

Pour en terminer avec cette histoire d’eau, je voudrais revenir sur l’autre auxiliaire de la circulation de l’eau domestique que j’ai évoqué plus haut : le chauffe-eau. Mon pire ennemi !

À l’hôtel ou à la maison, il est là, tapi en hauteur, dans un coin de la salle de bain, prêt à accomplir ses forfaits. En effet, le plus souvent, chaque salle de bain dispose de son chauffe-eau qui a pour mission de donner de la tempérance à l’eau destinée à nous laver, mais aussi à nous détendre sous la douche ou dans le bain.

Or, quand on parle de tempérance, on évoque la juste mesure, la plénitude. Sauf qu’ici, le chauffe-eau ne connaît pas ce concept ! Il est là pour chauffer, alors il chauffe sans limite.

Et comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans une autre tranche de vie, les mitigeurs ont tendance à être intransigeants : c’est ou chaud, ou froid. Si on veut du tiède, il faut être d’une patience et d’une minutie à toute épreuve pour placer le mélangeur au millimètre près, là où les flux d’eau se conjuguent pour donner ce bien-être qui nous renvoie à la matrice maternelle.

Un millimètre de moins et c’est la douche glacée, un millimètre de plus et c’est l’ébouillantement assuré, généreusement entretenu par l’action conjointe de celle que l’on prend parfois pour le second et du second que l’on confond parfois avec la première : la citerne et le chauffe-eau.

Admirez l’ingéniosité de la première, méfiez-vous du deuxième ! Et ne croyez pas que c’est un contentieux personnel ! Nombre de personnes pourraient témoigner de leur départ anticipé de la baignoire ou du bac à douche, à destination du compartiment à glace du réfrigérateur pour tenter d’endiguer la consumation des cellules d’un épiderme devenu d’un magnifique rouge homard…

En ce moment, il fait très chaud au Vietnam. Je vous sers un peu d’eau ?

Gérard BONNAFONT/CVN

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