Pour remuer, ça remue

Avec avril, les beaux jours reviennent et, avec eux, les orages à décorner les buffles. Attention bonnes gens, ne cherchez pas à sortir couvert, mais restez à couvert. Fermez les écoutilles, un gros grain arrive, et la chaussée risque d’être flottante.

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Les provinces littorales du Centre sont souvent frappées par les grands typhons qui causent de gros dégâts.

Pétri de ying et de yang, le Vietnam est autant le pays de l’harmonie que le pays des extrêmes. Et question extrêmes, le climat il connaît. Et comme les hommes prétendent qu’il devient fou, le climat, en plein dérèglement, s’en donne à cœur joie. Ah ! Les humains pensent que je disjoncte, et bien, qu’ils prennent ça. Et nous voilà avec une température à faire s’évaporer les mots à peine prononcés. Le bitume fond, les thermomètres abandonnent toute raison, les poules pondent des œufs cuits durs, les climatisations halètent, les hommes suent. Vous voulez un peu d’eau ? À votre disposition. Et que voilà une belle tempête, propre à noyer l’humanité entière dans un déluge dantesque que n’aurait pas désapprouvé Noé.

Gouttes impétueuses

L’orage, le gros, le dantesque, je croyais connaître. Pensez donc ! J’avais été au cœur de la tornade qui traversa la France de part en part pour célébrer le nouveau siècle. Tuiles, branches, tôles et autres objets, habituellement inanimés, avaient passé la nuit en une sarabande diabolique qui hachait menu tout ce qui osait se trouver sur son chemin. C’est vous dire que j’avais baroudé. Mais l’humilité s’apprend à tout âge, et le Vietnam allait s’en charger. Tout ce que j’avais côtoyé auparavant n’était que de la roupie de sansonnet à côté des cyclones vietnamiens.

La mise en bouche a commencé par les pluies diluviennes qui ont émaillé les semaines suivant mon arrivée. Un ciel bleu comme la pureté des sentiments filiaux de ma progéniture, avant qu’elle ne découvre le goût des crèmes glacées, puis en l’espace d’un battement de paupières. Un ciel aussi noir que la morale du malotru qui, un jour, arracha à l’affection de mon épouse, une moto flambant neuve. En quelques secondes, les pires nimbus qui s’agglutinent en une gigantesque bacchanale et déversent d’obscènes trombes d’une eau tiède et poisseuse qui font ressembler les plus violents orages occidentaux à un pipi de chaton prostatique. Ici, ça ne pleut pas, ça cataracte, ça déverse et ça submerge.

Les égouts dégoûtés abandonnent et éructent leur défaite à grands torrents d’eau boueuse qui s’emparent de tout l’espace libre. La rue devient rivière. Les terrains de football se transforment en piscine. Les escaliers en cascade. Les toits en fontaine et les hommes en poisson. Mais, le plus étonnant est le calme de ces tritons bipèdes qui considèrent cela comme un incident passager.

Des maisons sous l'eau.

Qu’importe que les rues soient bloquées, que les maisons soient inondées, après la pluie le beau temps. C’est qu’ils le connaissent leur ciel capricieux, capable après de tels excès de se remettre au bleu, en laissant le soin à son complice de soleil, d’assécher la terre, à en faire bouillir le fleuve Rouge. Par mimétisme et par raison, je me suis habitué à ces trombes indécentes, et j’avais fini par laisser mouiller ma chemise sans autre forme de procès. Jusqu’au jour où j’ai été confronté au plat de résistance.

Au cœur de la tempête

Cơn bão (typhon) depuis plusieurs jours, le mot revenait dans la conversation de la famille de ma femme, chez qui nous étions venus passer quelques jours. Et ce n’était pas juste histoire de dire. Je sentais réellement de l’inquiétude, presque de la peur, quand au fil des informations, nous apprenions que le typhon se renforçait et que né, là-bas, à des milliers de kilomètres, il gagnait en force et en colère en se dirigeant droit sur nos côtes.

Il faut dire que le quê (pays natal) de mon épouse se trouve quelque part entre Hà Tinh (province de Hà Tinh) et Dông Hoi (province de Quang Binh), dans cette région côtière du Centre où la mer flirte avec les montagnes. Contrée rude pour des hommes rudes : pêcheurs ou agriculteurs, ils sont en premières lignes pour encaisser les coups de béliers des ouragans qui, siècles après siècles, viennent s’écraser sur les premières terres habitées rencontrées après leurs longues courses en mer. Tels de gigantesques pirates d’eau et de vent, ils viennent régulièrement prélever leurs tributs en dégâts matériels et en vies humaines.

À l’annonce de l’arrivée imminente du typhon, branle-bas de combat. Les maisons deviennent des arches où tout le monde, humains et animaux, se calfeutre. Au loin, les mugissements du vent annoncent l’apocalypse. Les rafales deviennent bourrasques, tourbillons, karcher démentiel qui nettoie tout sur son passage. Puis l’eau se met de la partie, éruptions célestes qui éboulent, engloutissent, noient.

L’eau du ciel et l’eau de la terre s’allient pour dévorer, sous des torrents de boue, arbres, abris, êtres vivants qui ont le malheur de se trouver sur leur chemin.
Photo : Hô Câu/VNA/CVN

La terre est boursouflée, animée de brusques mouvements de succions. Elle éclate en bulles épaisses, lave froide ou pâte démente qui absorbe la vie qu’elle sut pourtant donner autrefois. Dans la maison, nous sommes une dizaine, enfants et adultes, blottis dans le noir (il y a belle lurette que l’électricité a démissionné). Je tente de faire le faraud en expliquant que la maison est solide, et que compte tenu de l’angle du toit, le vent ne peut pas s’y engouffrer et que…dans un bruit affreux, qui me fait penser à un immense éclat de rire de la tempête, le toit de la maison se fait la malle à ce moment.

Les tuiles sont catapultées aux quatre coins de l’univers. La charpente est écartelée dans un gémissement atroce, et nous avons juste le temps de nous mettre à l’abri, dans une soupente attenante, pour éviter de recevoir une avalanche de gravats. Les enfants hurlent, les mères tremblent, et les hommes aussi. Et puis, brusquement le silence, le grand, celui qui suit les catastrophes. L’aurore pointe le bout de son nez en pleine journée. Les nuées s’éloignent pour laisser la place à l’azur. Le vent esquisse encore un ou deux pas de danse, en faisant virevolter quelques planches éparses. Puis c’est le calme. Nous nous regardons : le typhon est mort, nous sommes vivants. D’autres n’auront pas eu cette chance, écrasés dans leurs maisons écroulées ou noyés dans leurs bateaux retournés.

Déjà, la solidarité prend ses droits. Des portes s’ouvrent, des survivants se retrouvent, on compare les dégâts, on estime déjà le temps, l’argent, l’énergie pour tout reconstruire. La vie s’organise. Étonnez-vous après ça, que le Vietnamien soit courageux !


Gérard Bonnafont/CVN

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