Fermeture provisoire

Pour un Occidental, habiter au Vietnam nécessite de développer quelques compétences psychomotrices, dont la dextérité fine n'est pas la moindre !

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Qui ne connaît le cadenas ? Ce petit ustensile composé d'un boîtier avec serrure et d'un arceau métallique sert à fermer hermétiquement ce à quoi l'on ne souhaite pas permettre au premier venu d'accéder.

Pour moi, cet auxiliaire de sécurité était synonyme de cahier intime scellé, de cave ou remise claquemurée, de passages interdits, de valise bouclée, de ceintures médiévales. Par extension, il avait acquis ses lettres de noblesse en devenant le symbole de l'amour éternel, accroché aux rambardes de ponts dans quelques villes de tradition romantique.

Indissociable du cadenas, la clef, conservée précieusement au fond de sa poche pour accéder de nouveau au bien protégé ! Bien évidemment, en cas de perte de celle-ci, on peut toujours utiliser la scie métallique, le coupe-boulon, le marteau ou l'épingle à cheveux, selon sa maîtrise de la mécanique des serrures.

Mais avouez que, hormis l'épingle à cheveux, les autres ustensiles sont un peu plus encombrants à transporter ! C'est donc doté de cette idée du cadenas et d'une valise sécurisée par celui-ci que j'arrivai au Vietnam il y a une bonne dizaine d'années…

Entrée de service

Dès qu'il m'a fallu quitter le cocon douillet de mon hôtel pour trouver un toit destiné à abriter ma famille, force m'a été de constater qu'en ce qui concerne la sécurité, la maison vietnamienne tient davantage du coffre-fort que du cottage champêtre.

En effet, avant d'accéder à la porte d'entrée, il faut franchir une grille de protection que celle-ci enclose une courette ou soit accolée à l'huis. Grille que l'on retrouve par ailleurs devant les fenêtres et autour des terrasses où sèche le linge. Le but étant, bien entendu, de décourager les montes en l'air locaux ! L'usager des lieux doit donc posséder deux clefs : celle qui ouvre la porte d'entrée, et celle qui ouvre le cadenas destiné à clore la grille de protection. Jusque là, pas de quoi en faire une tranche de vie…

C'est que vous ne vous êtes jamais trouvé devant votre grille la nuit tombée, sous des trombes d'eau, et sans éclairage public ! Ce qui m'arrive plutôt deux fois qu'une ! Et c'est à chaque fois la même épreuve. À la lueur que mon phare dispense chichement lorsque ma moto est arrêtée, je dois chercher, sur mon trousseau, la clef du cadenas. Les doigts ruisselants de l'eau que le ciel m'offre généreusement, je dois aller saisir le cadenas qui se trouve derrière la grille. Et c'est bien là que le bât blesse !

En effet, la plupart du temps, lorsque l'on ferme quelque chose, le cadenas se met à l'extérieur. Mais en l'occurrence, cadenasser sa maison de l'extérieur, lorsque l'on sort de chez soi, est comme annoncer à la population qu'il n'y a personne dans la maison, et que donc tout intrus dispose de la tranquillité nécessaire pour en percer les défenses. Donc, le cadenas est toujours fixé derrière la grille.

En général, celle-ci dispose d'une petite ouverture pour y enfiler la main, et saisir le cadenas. Facile pour des poignets graciles et des doigts fins ! Sauf qu'avec mes mains modèle battoir et mes doigts gourds, je m'écorche les poignets à tenter de saisir ce maudit cadenas, bien caché derrière ses barreaux. Le saisir n'est rien. Il faut ensuite faire pénétrer la clef dans la fente de la serrure, et je vous rappelle que je suis dans le noir total, puisque l'unique lampadaire de ma ruelle est aux abonnés absents depuis des lustres…

Je tâtonne, ne trouve pas la fente, glisse sur l'acier du boîtier. En pestant, je parcoure lentement la surface de la pointe de ma clef, jusqu'à trouver le point d'entrée de la serrure. Je fais glisser ma clef, pénètre dans la fente et tourne fébrilement, rassuré par le clic libérateur de l'arceau qui s'ouvre. Il ne suffit plus qu'à retirer le cadenas du support pour ouvrir la grille. Et, toute cette opération avec la hantise de faire tomber la clef de l'autre côté de la grille !

Cela m'est arrivé une ou deux fois. Et croyez moi, je n'ai nullement envie de renouveler l'expérience qui consiste à être allongé de tout son long dans une ruelle détrempée en pleine nuit, tout en palpant le sol du bout des doigts, jusqu'à sentir la clef récalcitrante qu'il faut rapprocher délicatement avant de s'en saisir de peur qu'elle ne glisse un peu plus loin et vous échappe à tout jamais… pour l'heure du moins !

Visa de sortie

Mais si rentrer chez soi se mérite, en sortir peut aussi tenir du défi impossible. Comme je vous l'ai dit, on referme toujours la grille extérieure avec le cadenas à l'intérieur. Sauf que par un bel après-midi, ma tribu familiale avait décidé de profiter du soleil pour aller flâner dans les rues, tandis que je restai à travailler à la maison. Et, je ne sais pour quelle raison, la grille fût close de l'extérieur. Saisi d'une envie d'évasion, je décide de m'octroyer une promenade. Horreur ! Au moment d'ouvrir ma grille, de cadenas point, ou plutôt si : il se balance éhontément à l'extérieur, hors de portée de clef.

En effet, les anneaux de fermeture extérieurs, plus élevés, sont inaccessibles depuis l'intérieur. Logique, puisque si je suis dedans, le cadenas est à l'intérieur, donc à ma main, et si je suis dehors, il est normalement toujours à l'intérieur, donc accessible par une petite fenêtre. Et si la grille est fermée de l'extérieur, c'est qu'il n'y a personne à la maison ! Et bien, cette fois-là, tout le système s'effondre, et je suis emprisonné chez moi…

Un seul recours : faire appel à la générosité publique. J'attends donc avec impatience qu'un passant arrive devant chez moi pour le héler. Justement, c'est ma voisine qui revient de course. Plus qu'à lui remettre les clefs à travers la grille, non sans devoir répondre à la curiosité d'usage, qui consiste à savoir pourquoi je suis enfermé, où je veux aller, où est ma famille. Rien que de très normal en somme. Sauvé… mais pas indemne.

En effet, il m'a fallu supporter pendant plusieurs semaines les remarques amusées de tous ceux, aimablement avisés par ma salvatrice, qui me rappelaient ma détention provisoire. Moquerie ou sollicitude ? Je n'en sais rien, mais ce qui est certain, c'est que le Tây (Occidental) enfermé chez lui fait bien rire le quartier.

Comme quoi une petite chose peut produire de grands effets. Et maintenant, je la ferme !

Gérard Bonnafont/CVN

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