Difficile agenda

Voilà, nous y sommes ! Après la nouvelle année solaire, autrement nommée Têt Tây, c’est l’année luni-solaire, le Têt Ta, qui s’est ouverte sous le signe de la Chèvre. Deux années, deux calendriers. De quoi s’y perdre…

Depuis ma plus tendre enfance, j’avais pris l’habitude de découper l’année selon des mois aux noms issus de la mythologie gréco-romaine ou décliné du latin.

Janvier, du Dieu Janus au double visage ; Février venu du mot «februa», purification ; Mars du Dieu de la guerre ; Avril, à l’origine obscure, dédié à Vénus; Mai de la sublime déesse Maïa ; Juin de Junon, femme de Jupiter; Juillet, le mois de Jules ; Août, celui d’Auguste ; Septembre, Octobre, Novembre, Décembre, les mal-nommés neuvième, dixième, onzième et douzième mois.

Rythmée par ces mois-dieux, alternant 30 ou 31 jours (voire 28 ou 29 pour février), l’année s’écoulait, immuable. Et puis, en arrivant au Vietnam, j’ai découvert que ce compteur n’était pas universel et que plus de la moitié de l’humanité vivaient à une autre cadence…

Pleine lune

Pour beaucoup d’Occidentaux, la fête du Têt est un bel événement exotique et folklorique. On applaudit aux défilés des communautés asiatiques de la diaspora, dans les quartiers des grandes villes. On se délecte des gâteaux et autres gourmandises extrême-orientales qui envahissent brusquement les hypermarchés. On s’évade à peu de frais vers un monde lointain qui paraît encore mystérieux…

Au Vietnam, le double calendrier a de quoi faire devenir chèvre

Mais pour qui vit au Vietnam, le Têt lunaire, le vrai, celui pour qui le pays entier vit au ralenti pendant quelques jours, représente plus qu’une fête. Il ouvre une nouvelle année luni-solaire, autant dire pour le solaire que je suis, un autre univers !

Tout d’abord, le premier jour de l’année, comme le premier jour de chaque mois, c’est le jour de la nouvelle lune. Donc, le quinzième jour est le jour de la pleine lune.

À première vue, cela semble facile, puisque même sans agenda, il suffit de regarder le ciel nocturne pour repérer quel jour du mois nous sommes. Sauf que quand il s’agit d’en mettre plein la vue, la lune n’est pas toujours très fidèle, et que même pleine elle peut faire la coquette en se cachant derrière des nuages. Donc, c’est plutôt à vue de nez que je détecte si nous sommes en début ou en milieu de mois.

En effet, c’est le premier jour et le quinzième jour du mois que les Vietnamiens brûlent téléviseurs, billets de banque, vêtements, voitures et autres objets de consommation ! Je vous imagine déjà, chers lecteurs, tétanisés d’horreur devant cet embrasement récurrent, auprès duquel l’incendie de Rome n’aura été qu’une bagatelle. Je vous rassure de suite, ce qui se consume dans les brûles-offrandes ne sont que des reproductions en papier de tout ce qui rend la vie confortable. Et croyez-moi, la vie des ancêtres, qui nous protègent depuis l’autre monde, est bien souvent plus confortable que celles de leurs descendants qui les honorent avec respect ! Ainsi, de brasier point, mais plutôt de nombreuses combustions qui font flotter dans l’air cette odeur de papier brûlé et permettent à mes poumons de bénéficier régulièrement de dioxyde de carbone…

Quant au repérage selon les mois, j’y perds mon latin, et les noms de la même origine que je connaissais si bien. Entre le langage courant qui identifie les mois par numéros, ce qui peut semble facile, mais qui se complique si on veut les désigner par leurs noms traditionnels. C’est là qu’il faut maîtriser, non seulement la liste des douze animaux qui composent le zodiaque vietnamien, mais également l’astrologie luni-solaire !

Obscurité totale

En effet, j’avais l’habitude des années bissextiles. De ces années qui font regretter d’être né un 29 février, puisque ce jour n’apparaît que tous les quatre ans. Mais, hormis les jérémiades de ces quelques natifs malchanceux, cette modification périodique s’assimile relativement bien, au même titre que les Jeux Olympiques qui ont adopté une cadence identique.

Hors, dans le calendrier luni-solaire, c’est un mois de plus tous les trois ans qui s’invite. Vous avez bien lu : un mois entier qui disparaît pendant trois ans, comme ça, sans rien dire ! Vous imaginez le nombre de natifs de ce mois qui doivent, pendant trois ans, regarder le calendrier, sans pouvoir cocher le jour du mois où ils pourront exiger les attentions et autres cadeaux que méritent leur jour de naissance. Et, en plus, ces mois intercalaires tombent à des moments différents de l’année. Un vrai jeu de taquin calendaire !

Bon, d’accord, je veux bien admettre que ce type de calendrier semble être plus représentatif des rythmes des saisons et des phénomènes climatiques sous l’influence du soleil et de la lune. Mais quand même, pas facile pour un Occidental de s’y retrouver. Et c’est là que les animaux du zodiaque viennent compliquer la donne.

En effet, selon le système Can-Chi (Tronc-Branche), qui permet de déterminer l’ordre des unités de temps, le sous-système Chi (Branche) utilise les noms des animaux pour désigner les mois. Bon, là passe encore, quand on parle vietnamien.

Ainsi, aucun problème pour comprendre que le mois Chuôt, le rat, précède le mois Trâu, le buffle, comme dans la succession des années… Sauf que ce n’est pas ces noms d’usage moderne que l’on utilise, mais des noms qui nous viennent tout droit de langues anciennes, pratiquées dans les contrées austroasiatiques. Ainsi, mon Chuôt devient, mon Trâu devient Suu, et ainsi de suite pendant 12 mois !

Et je vous fais grâce de la façon de désigner les jours et les heures dans le calendrier traditionnel. Ainsi, allez savoir comment déterminer que ce dimanche où j’écris cet article, nommé Chu Nhât dans le langage courant, fidèle au calendrier grégorien, mais Ngày Canh Dân dans le calendrier traditionnel appartient au Tháng Mâu Dân, désigné communément par Tháng Ba. En outre, inutile de parler du 15 de ce mois, car en fait, nous sommes le 25 du Tháng Giêng de Năm Ât Mùi (l’année de la Chèvre). Et pour couronner le tout, lorsqu’il s’agit de donner la date d’une fête locale ou de la célébration d’un événement, la coutume est de dire, par exemple, le 5e jour du 3e mois…

En d’autres termes, si vous ne voulez pas poser un lapin, munissez-vous des tables de conversion et grilles de similitudes entre calendrier solaire et calendrier luni-solaire, ou faites l’acquisition d’un de ces splendides calendrier or et rouge, qui donne pour chaque jour les règles de conversion permettant de s’y retrouver dans les arcanes du Can-Chi et du Yin-Yang, appliqués au décompte du temps…

Gérard BONNAFONT/CVN

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