Ciel en chaleur

40° à l’ombre ! Un temps à ne pas mettre un immigré ou un Vietnamien dehors. Et pourtant, pas question de rester au réfrigérateur pendant trois mois.

>>Un orage d'une violence exceptionnelle fait deux morts et cinq blessés à Hanoi

Depuis quelques semaines, le thermomètre a décidé de gagner ses quartiers d’été. Le mercure a entrepris de conquérir des sommets, au grand dam de notre organisme, contraint d’entrer en résistance pour éviter l’hyperthermie. Je me souviens du conseil que m’avait donné un ancien, lorsque j’avais décidé d'emménager mes pénates au Vietnam : «Poses tes valises au début de l’été, et si tu parviens à supporter cette saison, tu pourras rester. Dans le cas contraire, prépare ton billet de retour !». J’ai sué, j’ai perdu des kilos, mais j’ai résisté au prix de pratiques, nouvelles pour moi, mais tellement familières aux Vietnamiens.

Au frais

Plus la température extérieure augmente, plus nous nous efforçons de maintenir la nôtre autour des 37,5° C. Pas question d’emballer la machine et de risquer la surchauffe ! Donc, on rafraîchit cette atmosphère devenue soudain inhospitalière, à grand coup de pales de ventilateur ou de soufflerie de climatiseur. Et forcément, à ventiler et à souffler à tout va, la production d’électricité finit par avoir le moral en berne, et c’est la panne de courant assurée. La nuit notamment, contrairement à d’autres pannes qui jettent un froid, celle-ci tend à faire monter la chaleur. Après quelques minutes, la fraîcheur généreusement dispensée par les appareils, devenus inutiles, tend à laisser place à une moiteur suffocante. On recherche le souffle d’air salvateur qui évitera l’embrasement des poumons.

En dehors de s'installer dans le compartiment à glace du congélateur, la solution la plus pertinente consiste à déménager à l’endroit le plus frais et le plus aéré de la maison : la terrasse. Habituellement réservée à la culture des bonsaïs, l’élevage d’oiseaux en cage, la sculpture physique ou l’étendage de linge, elle devient pour une heure ou une nuit un havre de repos pour des corps anéantis de chaleur. Le carrelage, aussi dur soit-il, devient une couche fraîche qui semble aussi douce qu’un lit de roi. Le moindre filet de vent qui se faufile sous les toits, aussi tiède soit-il, paraît une caresse sur les peaux en sueur. Gisant pêle-mêle sous les culottes et les chemises pendus à leurs fils, la famille attend que revienne la fée électricité, celle qui redonnera vie à cet air froid qui viendra requinquer petits et grands. Chacun retournera alors dans sa chambre pour profiter égoïstement de son petit coin de paradis polaire…, jusqu’à la prochaine panne !

En trombes

Mais, qui dit chaleur, dit évaporation. Et comme le Vietnam est un pays généreux en lacs, étangs et fleuves, de l’eau qui s’évapore, il y en a. Le problème avec l’évaporation, c’est que ça ne se voit que lorsqu'il est trop tard. Un exemple pour illustrer…

Ce samedi, nous avions décidé d’aller nous faire refroidir les extrémités du côté de l’île de Cát Bà (ville portuaire de Hai Phòng, Nord). Sauf que c’est une très mauvaise idée que de vouloir aller à Cát Bà le week-end. Devenu depuis quelques années la station balnéaire des Hanoïens, l’île est envahie de plaisanciers. Les navettes maritimes sont surchargées, les hôtels bondés, les plages saturées…

Comme tout bon Vietnamien, nous nous adaptons, et nous reportons à dimanche le départ pour Cát Bà, profitant du beau soleil matinal pour aller en moto à Bát Tràng, le village des céramistes à Hanoi. L’occasion de joindre l’utile à l’agréable, en chinant pour trouver l’objet qui ira parfaitement avec la table du salon, tout en renouvelant une partie de la vaisselle domestique, ébréchée par les longs services assurés repas après repas.

Ma file devant, mon épouse derrière, je pilote ma moto d’une main légère, en prenant le temps de flâner en contrebas de la digue qui borde le fleuve Rouge. Attentif, malgré tout, à ma conduite, je garde les yeux rivés sur la route et me préoccupe peu du ciel. Ce qui n’est pas le cas de ma fille qui attire mon attention sur un spectacle extraordinaire. Un gigantesque cumulo-nimbus se dresse dans les cieux comme une montagne grise qui aurait surgie au milieu de la plaine. Caché par son sommet, le soleil l’auréole d’une lumière dorée qui s’estompe dans un ciel d’azur qui se couvre de plus en plus.

Quand la canicule devient tornade.

Un arrêt pour contempler cette merveille de la nature, et nous repartons. Cette fois-ci, mes yeux vont sans cesse de la terre aux cieux. En effet, l’immense nuage se transforme peu à peu en un pesant couvercle sombre qui paraît envelopper l’horizon. En regardant au-dessus de moi, j’ai l’impression d'être dans un avion qui volerait sur le dos au-dessus de la chaîne himalayenne ! De monstrueuses vallées se gonflent, se creusent, s’étendent, roulant des flancs gonflés d’une eau qui, il y a quelques heures encore glissait paisiblement entre des rives ensoleillées.

J’accélère progressivement, pas très rassuré sur l’issue de cette genèse céleste. Et malheureusement, l’avenir va me donner raison. À peine franchi le pont Chuong Duong, un vent violent commence à se faire sentir, et de grosses gouttes viennent s’écraser sur nos casques, alors que la nuit tombe avec deux heures d'avance. Juste le temps de se garer sur le bas côté de l’avenue qui suit le pont, sortir les «áo mua» (imperméables), et déjà le vent devient bourrasque, l’averse devient orage. J’essaie encore d’avancer, mais à peine tourné rue Lò Su, vers le lac Hoàn Kiêm (au centre-ville), de violentes rafales malmènent ma moto, m’obligeant à user de toutes mes forces pour maintenir mon équilibre, puis une tornade s’abat sur nous.

Spectacle de fin du monde

Déjà, les petites branches des arbres cassent sous l’action conjuguée des trombes d’eau et de la tempête. Puis soudain, alors que nous arrivons au bord du lac, la foudre s’abat sur un flamboyant, à quelques dizaines de mètres de nous.

Alors que le géant s’effondre, je stoppe devant le premier magasin venu. À l’abri, nous assistons à un spectacle de fin du monde : les feuilles se mêlent à la pluie, tourbillonnent en giclées, les arbres craquent et s’affalent sur la rue, les éclairs jaillissent de nulle part pour se noyer dans le lac… Ce jour-là, il y aura eu un millier d’arbres touchés à Hanoi, et des victimes qui auront payé à la canicule un tribut bien lourd !

Et pourtant, après une demi-heure de fin du monde, les motos se sont remises à rouler. Sous les dernières gouttes d’une eau qui revenait à sa source, chacun vaquait de nouveau à ses occupations, prenant même le temps d’admirer le splendide arc-en-ciel qu’un soleil victorieux nous offrait comme une victoire sur le génie des eaux.

Après la pluie vient le beau temps, même si parfois il apporte la prochaine pluie. Ainsi va le Vietnam…

Après la pluie, le beau temps !

Texte et photos : Gérard Bonnafont/CVN

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