Chômeurs à 35 ans : la tragédie paradoxale des ouvriers vietnamiens

En 2016, le taux de chômage reste très faible, mais dans le secteur industriel, les ouvriers n’arrivent pas à trouver un emploi passé le cap des 35 ans. Un drame qui appelle une réponse des administrations.

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Passé 35 ans, les ouvriers sont majoritairement confrontés au chômage.
Photo : Thanh Tùng/VNA/CVN

Le marché du travail au Vietnam se porte bien. Avec 57,5% de la population en âge de travailler, le Vietnam possède le taux idéal pour profiter de toutes ses ressources humaines. Dans les régions rurales, le taux de chômage est tombé jusqu’à 1,18%, alors qu’au niveau national, la moyenne se situe aux alentours de 1,7%.

Des statistiques qui prennent tous leurs sens, surtout quand près de 263.600 personnes sont arrivées sur le marché du travail en 2015. Mais il y a un bémol de taille, le secteur industriel. Les ouvriers n’arrivent pas à se reconnaître dans ces chiffres si positifs. N’ayant pas de qualification professionnelle ou supérieure suffisante pour travailler dans les grandes villes, ils doivent soit chercher du travail dans les régions rurales, soit prendre part au service militaire obligatoire. Ils acceptent une rémunération faible, et sont fréquemment mis en compétition avec des ouvriers plus jeunes, plus alertes, et surtout capables de faire des heures supplémentaires sans broncher.

Et le cycle ne cesse de se répéter. Lorsque ces ouvriers atteignent un certain âge, les employeurs les remplacent par des plus jeunes, mieux adaptés aux conditions de travail. Ainsi, à l’âge de 35 ans, à l’exception des chefs d’atelier, bon nombre d’entre eux sont déjà chômeurs. Pour les femmes, ce cap est franchi à 40 ans.

Il faut souligner que ces chiffres sont très en-deçà de l’âge de la retraite légale, qui est respectivement de 60 ans pour les hommes, et de 55 ans pour les femmes. Mais les industriels préfèrent appliquer leurs propres normes, avançant que le travail en usine exige des critères différents par rapport aux autres emplois.

La réalité alarmante d’une carrière à l’usine

«L’employeur m’a simplement dit que je ne convenais plus au travail, témoigne Nguyên Thi Hiên, ouvrière à l’usine de Canon Vietnam, située dans le parc industriel de Bac Thang Long. Mais tout le monde a su que la seule raison était mon âge». Pourtant, comme l’explique Nguyên Thi Nhàn, une autre ouvrière au parc industriel Hoài Duc à Hanoï, «il existe plusieurs motifs pour licencier, par exemple trois avertissements consécutifs».

À Hô Chi Minh-Ville, les employeurs invoquent fréquemment l’inaptitude pour justifier le licenciement. C’est ce qui est arrivé à Lê Thi Ut, qui a dû quitter son poste dans une usine du parc industriel de Linh Trung 1, voilà cinq ans. «Le travail exigeait de rester debout toute la journée. C’était dur, mais je ne pouvais pas le quitter car à mon âge, recommencer la carrière était tellement compliqué. Et finalement, l’employeur m’a licenciée pour inaptitude», se souvient-elle.

Les directeurs d’usines se disent conscients des répercussions négatives sur la carrière et la vie quotidienne des employés. Mais comme l’atteste Trân Công Khanh, chef adjoint de l’Administration des parcs industriels de Hô Chi Minh-Ville, «recruter du personnel ouvrier au-delà de 35 ans est rare».

Trân Anh Tuân, directeur adjoint du Centre d’information et de prévision des besoins des ressources humaines de Hô Chi Minh-Ville, analyse que «beaucoup d’employeurs ne cherchent que de jeunes ouvriers. À la suite d’une courte formation, ces derniers peuvent facilement remplir les tâches». Selon lui, cette sélection est logique et courante, lorsque les usines de fabrication ou de façonnage ne requièrent pas de main-d’œuvre de haute qualité. Cette méthode de recrutement aide les employeurs pour alléger les dépenses à la sécurité sociale et les indemnités de fin de contrat.

«Écarter les salariés incompétents, ou tout simplement inaptes, est légal et compréhensif dans tous les secteurs, pour notamment répondre aux besoins des entreprises, témoigne Vu Quang Tho, président de l’École des syndicats, appartenant à la Confédération syndicale vietnamienne. Mais être licencié à cet âge pourrait causer de nombreux problèmes à la société, lorsque ces ouvriers ont une toute petite sécurité sociale et une base salariale minime», poursuit-il.

Des licenciements encore mal encadrés

Les jeunes ouvrières ont la priorite à l’embauche, à l’usine textile Tiên Son Muong La, province de Son La (Nord)

Le Code du travail de 2012 ne comporte aucune disposition limitant le nombre des licenciements pour inaptitude. En fait, ne pas embaucher des ouvriers de plus de 35 ans est directement responsable des problèmes légaux liés au système de sécurité sociale. Puisque les ouvriers ne peuvent plus continuer leurs carrières, ils retirent tout de suite après leur licenciement toutes leurs cotisations de sécurité sociale en une fois, et ce, afin d’avoir un petit pécule pour leurs futurs projets. Ainsi, le projet de loi concernant l’article 60 du Code du travail sur la sécurité sociale qui voudrait supprimer ce retrait en une fois, a-t-il été rejeté par l’Assemblée nationale.

D’après le président de l’École des syndicats, il est impératif de fixer les règles de droit relatives aux contrats à long terme. De son côté, l’État doit lui-même organiser les formations supplémentaires aux ouvriers afin de les aider après le licenciement.

«Ils doivent bien se préparer aux risques éventuels du métier, partage Dào Xuân Vinh, président du Centre des recherches du ministère du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales. Selon mon expérience, changer de métier peut se faire à tout âge, mais le système légal est faible. Le point clé reste que les ouvriers ne veulent pas suivre les formations supplémentaires, mais préfèrent recevoir les indemnités de fin de contrat ! L’âge de 35 ans est assez +vieux+ pour commencer une carrière, mais il n’est jamais trop tard pour se reconvertir», conclut-il.


Dang Duong/CVN

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