À fleur de peau

Le soleil, le Vietnamien connaît bien, depuis des lustres qu'il inonde le pays de ses rayons. Le touriste, le Vietnamien connaît bien, depuis des années qu'il parcoure le pays de ses sandales. Soleil et touriste, un cocktail toujours étonnant !

Quand on se promène dans les rues des grandes villes, on voit de plus en plus d'étrangers arpenter le bitume, nez au vent, regard fixé sur le plan ou sur le guide touristique (le livre, pas l'homme), à la recherche du monument convoité ou de l'insolite fortuit. On pourrait donc croire que le Vietnamien est habitué à côtoyer ces êtres venus d'ailleurs. Mais il reste encore un sujet d'étonnement : la faible production de mélanine présentée par certains étrangers, à la peau si blanche qu'elle en paraît transparente.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, les Vietnamiens vouent un véritable culte à la peau claire, surtout les femmes. Ici, avoir la peau trop hâlée est une horreur contre laquelle on se protège par tous les moyens : être à l'ombre le plus souvent possible, porter une ombrelle ou un grand chapeau conique, se couvrir de la tête aux pieds quand on circule au soleil… C'est ainsi que sont apparus sur les routes de curieux personnages qui me font penser à E.T. : corps filiforme et tête énorme.

Ras le casque

En général, ce type d'extra-terrestre se trouve sur une moto. À première vue, les jambes paraissent normales, habillées de pantalons tout à fait honnêtes, et conformes à la conduite motocycliste. Le tronc, selon l'habitude vietnamienne, est recouvert d'une ample chemise aux bras longs, qui couvrent même le dessus de la main, pour éviter les coups de soleil intempestifs.

Tout cacher pour ne pas bronzer !

Mais, la chemise est également dotée d'une large capuche qui recouvre un énorme crâne, totalement démesuré par rapport à la silhouette féminine à laquelle il appartient. On imagine déjà l'horrible goule aux neurones surdimensionnés qui chevauche une moto infernale à la recherche de proies humaines ayant l'inconscience de se hasarder sur les mêmes routes qu'elle.

Puis, le monstre s'arrête, et rejette sa capuche en arrière, tout en portant la main sous son menton. Le pauvre humain que je suis s'attend à voir apparaître un visage couturé au crâne translucide (trop de dessins animés nuisent à la santé). La créature retire d'un geste élégant le casque de moto qui protégeait sa tête, et c'est un magnifique visage doté d'une somptueuse chevelure qui rayonne en pleine lumière. Décidément, l'élégance féminine vietnamienne ne cessera de m'étonner : inventer une chemise à capuche pour masquer un horrible casque tout en préservant sa peau, il fallait y penser.

Sentier caché

Cette hantise de la peau trop sombre frappe jusque chez moi ! La semaine dernière, mon épouse m'a accompagné dans une escapade en pays H'mông, avec d'autres amis venus de France. Toujours soucieux d'éviter les grands flots touristiques, j'avais emmené mon petit monde en une région isolée inconnue des guides touristiques (les livres comme les hommes). Si, si, il en existe encore au Vietnam, et comme les espèces en voie de disparition, il faut les préserver.

Longue route embouteillée, puis extraction par une route impraticable à toute personne raisonnable, et après une incroyable torture aux suspensions de notre véhicule, arrivée dans une petite bourgade blottie au fond d'une cuvette, encerclée de hauts sommets couverts d'une végétation touffue. Le seul petit hôtel local, habitué à abriter les chauffeurs routiers accablés de fatigue après avoir gravi de nombreux cols, nous offre un gîte rustique.

Comme il est encore tôt dans l'après-midi, et que les grandes chaleurs méridiennes se sont estompées, nous nous lançons à l'aventure : rendre visite à un village H'mông que l'on aperçoit au loin, à l'orée de la jungle, derrière les rizières. Le fond de l'air est frais et… traître.

En effet, la séduisante douceur du vent fait facilement oublier qu'à cette altitude et à cette heure, les rayons du soleil sont encore suffisamment ardents pour cuire l'épiderme. Et c'est ainsi que tout le monde s'engage sur le long chemin qui traverse rivière et rizières sans aucune autre protection que sa chevelure. Sauf notre serviteur, qui se fie depuis longtemps déjà plus à sa casquette qu'aux rares cheveux qui lui sont restés fidèles.

Cheveux ardents

Accompagnés par les rires des enfants qui se baignent dans la rivière, par le vrombissement des motos que l'on nettoie dans la même rivière, par les éclaboussures provoquées par les buffles qui s'ébrouent toujours dans la même rivière, nous prenons un chemin qui en suit les méandres, avant de s'engager au milieu des rizières au vert tendre, promesse de futures moissons abondantes.

Le soleil tape, nous nous en tapons. Une imposante bambouseraie nous offre son ombre et nous ouvre les portes du village. Et, en l'espace de quelques secondes, c'est l'émeute. Les enfants qui n'ont jamais vu d'étrangers se sauvent en hurlant dans les imposantes maisons sur pilotis, aux toits en feuilles de lataniers, les hommes sortent bravement sur le pas des portes pour estimer le danger potentiel, et les femmes se précipitent en criant de bonheur sur l'un d'entre nous.

Dût mon orgueil de mâle en souffrir, ce n'est pas sur moi que se porte cette vénération féminine, mais sur les fils de mes amis. Jeunes garçons, ils ont l'indicible chance d'avoir une carnation laiteuse, conforme à leurs chevelures respectivement blonde cendrée et rousse. C'est d'ailleurs celui aux cheveux de feu qui recueille tous les suffrages. Happé, palpé, caressé, embrassé, tripoté, il ne doit son salut qu'à une intervention souriante mais ferme de ma part.

Non, on ne peut pas arracher des touffes de cheveux pour les emporter ! Non, on ne peut pas le faire entrer de force dans les maisons pour le faire toucher par la grand-mère impotente ! Oui, il a très peur de toutes ces mains qui se promènent sur son corps pantelant ! Oui, ses parents sont très inquiets de le voir ainsi manipuler ! Non, tous les enfants étrangers ne sont pas comme lui ! Oui, il est très beau, mais ce n'est pas une raison pour en conserver un morceau !

L'émeute est calmée, le chef de village nous invite à boire de l'eau chaude chez lui. On s'assoit dans la maison sombre, et on commence à parler du Vietnam, de la France, de la vie, de la famille…

Tiens, il fait déjà nuit ? Non, ce sont les villageois, entassés devant la porte et les fenêtres, qui viennent voir comment un enfant aux cheveux de feu boit de l'eau chaude.

Fin de la journée. Mes amis sont remis de leurs émotions et le génie aux cheveux de feu dort paisiblement dans sa chambre, sous le souffle rauque d'un ventilateur poussif. Un cri de désespoir surgit de ma salle de bain. Le miroir vient de renvoyer à mon épouse le contraste noir et blanc entre ce qui était couvert par un vêtement et ce qui était exposé au soleil.

Les jours suivants, j'ai été accompagné par deux étranges personnages : l'un enduit de crème solaire protection totale, emmitouflé d'une chemise à large capuche, visage masqué par des lunettes de ski et un masque en tissu ; et l'autre affublé d'un énorme chapeau destiné à couvrir le moindre reflet d'une chevelure de flamme, lunettes à larges verres sur le visage.

Comme quoi, on se méfie toujours du soleil et on s'étonne encore devant l'étranger !

GÉRARD BONNAFONT/CVN

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